mercredi 22 février 2012

Corbusier ! Mets la table !

On va parler de Le Corbusier.
On va parler de la cuisine.
On va parler de la Femme Moderne.
Regardons pour cela cette incroyable carte postale :



Nous devons ce document à l'éditeur "Voyagence", le concessionnaire du Service des visites de la Cité Radieuse de Marseille. La photographie est de Mr Sciarli dont je sais depuis peu qu'il fit énormément de photos de la Cité Radieuse. (Merci Mr Drut)
Regardons de manière générale : nous sommes à n'en point douter dans la cuisine (revoir ici), devant le fameux meuble passe-plat qui permettait enfin à la ménagère de voir la salle à manger et de faire la cuisine. On notera ici qu'il n'était pas question à l'époque que ce soit quelqu'un d'autre qu'une femme qui ait besoin de cette libération. Aujourd'hui tout le monde est en mesure d'apprécier de pouvoir faire à manger et être en même temps dans l'espace de convivialité. Mais cette photographie reprend parfaitement le cliché, la femme est dans "son" espace et on appréciera que cet espace soit d'une certaine manière "enseigné à la petite fille qui va chercher dans le placard le plat. La maman et la fille sont à leur place, certes moderne, mais à leur place. Le papa doit soit fumer la pipe sur le balcon, soit ranger le train électrique du petit frère...
On remarque également au premier plan à gauche un triangle flou. Il s'agit sans doute du garde-corps de l'escalier nous indiquant que nous sommes dans un appartement par lequel on entre par la cuisine puis on descend vers les chambres. Les experts me confirmeront cela.
On remarque aussi que la porte d'entrée est ouverte, elle forme un angle. Le photographe a oublié de la fermer en entrant ? Sommes-nous dans un vrai appartement ou un appartement témoin ? Tout cela est bien sage, rangé, propre, rien ne dépasse. Pourtant une assiette décorative est accrochée au mur, des bibelots en étain à gauche et le placard bien rempli laissent penser à une vraie occupation.
Agrandissons l'action de la maman :







On remarque le rangement pour les éponges dans le mur et aussi l'importance d'une bonne bouteille pour un bon repas ! Cette jeune femme est-elle reconnue par un habitant de la Cité Radieuse ?
Pas de doute le photographe anime la scène. Il dicte l'action et agence le décor de manière à bien faire saisir cet espace. On ouvre les placards pour montrer tous les rangements et particulièrement celui des casseroles, la femme en ouvrant le réfrigérateur (garde-manger ?) dit qu'il y en a un et en même temps que l'espace est suffisant pour bien cuisiner.





La petite fille fait exactement le geste qu'il faut pour montrer la praticité du mobilier.


C'est donc une image à la fois totalement construite et totalement véridique. Un détail m'émeut tout particulièrement, regardez ici :



On devine le bras du poupon de la petite fille posé là sans doute pour pouvoir faire la photographie. Est-ce la même famille, la même maman, la même petite fille, le même jour que cette carte postale que nous avions ici déjà aimée ? Sans doute...
On pourra aussi s'interroger sur la raison de ce format étrange pour la photographie et la raison de ce rectangle blanc qui sert à inscrire " unité d'habitation "le Corbusier", Marseille".
J'ai une petite idée que je vous soumets : si on enlève ce rectangle blanc et que l'on prolonge notre image on s'aperçoit que le garde-corps de l'escalier viendra mourir jusqu'au bas droit de la photographie. Je pense que devant cet effet de composition, le photographe, Mr Sciarli a décidé de couper ainsi son cadrage allégeant sa composition d'une diagonale trop floue... Mais c'est juste une idée.
Mais amusons-nous encore avec la Femme Moderne et son intérieur... moderne !
Je trouve dans ma collection cette autre carte postale :



Dans une cuisine, à la même époque, une autre maman fait la vaisselle avec sa fille ! Cette carte postale superbe par sa qualité comporte au verso cette inscription en néerlandais :



le traducteur Google nous donne :
Travailler dans la cuisine même est vraiment un plaisir.
Les socialistes prospectifs gouvernantes femmes exigences pour toutes les cuisines fournir une rationnelle, l'équipement complet et peu coûteux afin qu'ilsne le font pas, comme autrefois, les esclaves de leur travail
J'essaie d'améliorer un peu :
Travailler dans une telle cuisine est un vrai plaisir ! Les femmes socialistes au foyer de l'avenir exigent d'être équipées de manière rationnelle avec un équipement complet et peu coûteux afin qu'elles ne soient plus, comme autrefois, les esclaves de leur travail !
Si vous traduisez mieux...
On remarquera qu'il n'est pas tellement question de libérer les femmes des tâches ménagères mais surtout qu'elles puissent faire ces tâches dans du matériel moderne comme si leur libération passait par ce changement ! On ne sait rien de ce que cette cuisine a de moderne. Ces matériaux (Formica ?), son agencement ? La présence d'électroménager ? Du téléphone ? Ou la lumière qui entre de plain-pied ?
Je ne sais rien sur l'origine de cette carte postale, pourquoi il y est question de socialisme... La photographie est de Uitgaven Est-Ouest.
On retrouve finalement Madame Arpel, sa maison moderne, sa cuisine magique. Et le seul qui semble libéré dans ce lieu est Mr Hulot qui aurait sans doute pu donner des leçons à Mr Le Corbusier !
Et je les imagine tous les deux à la table, serviettes à carreaux autour du cou, attendant le fricot en discutant de l'avenir, des aéroports, de la société Altra et des tuyaux de plastique dans l'architecture !



mardi 21 février 2012

la plus belle exposition de Beaubourg

Voici un cas intéressant.
D'abord parce que depuis une architecture un peu oubliée nous en regardons une autre beaucoup regardée :



Puis ensuite, il faut reconnaître que les images promotionnelles pour les ventes d'immobilier sont rarement aussi bien faites et aussi curieuses...
Avouez que la vue est belle !



En fait, je n'avais jamais vraiment réalisé que certains privilégiés vivaient avec ce type de paysage derrière leurs fenêtres !
De quoi est-il question au juste ?
Il s'agit d'une carte postale vantant l'investissement dans les logements du "Quartier de l'Horloge" à Paris donc. Au dos de la carte postale figure cette légende :
" Paris construit une place par siècle : après la place des Vosges, la place Vendôme, la place de l'Etoile, et la place de l'Opéra... au XXe siècle la Piazza Beaubourg "
L'adresse du bureau de vente est indiquée : "Quartier de l'Horloge, 56 rue Rambuteau" suit le téléphone...
Ce qui est amusant c'est aussi l'appellation Piazza, certainement un héritage de l'italien de nos deux architectes Rogers et Piano !
On rira également du jeu de mot sur "exposition" bien senti par les communicants.
Le Quartier de l'Horloge lui, ne démérite pas, et souvent j'aime à le regarder. Aujourd'hui, il présente encore certains beaux éléments même s'il semble enclavé et oublié... Je me souviens être allé voir la belle horloge automate à mon arrivée à Paris, elle marchait bien alors, et aujourd'hui ?
Le Quartier de l'Horloge est l'œuvre de Jean-Claude Bernard.
J'aime bien le résumé qu'en fait Eric Lapierre dans son guide de Paris : " Les bâtiments, alignés sur la rue et respectueux du gabarit parisien, ont une expression pittoresque mâtinée de lointaines références à l'architecture de Carlo Scarpa."
Tout est dit, tout tient dans le "mâtinée" et "lointaines".
Mais ce que nous aimons aussi dans cette illustration de E. Glushak c'est le fauteuil des Eames ! Cela ajoute à notre ambition Artie !



L'illustrateur a bien choisi son mobilier pour faire moderne mâtiné de classicisme et aux aspirations lointaines américaines...
Je retrouve dans ma collection de Flip Books (oui je sais... aussi ça...) ce très bel exemple où l'on assiste au montage de la Lounge Chair, bon film :

lundi 20 février 2012

Dessau Grautag

Depuis Dessau, deux cartes postales.
L'une pourrait être très banale, commune, ennuyeuse.
L'autre est sans doute l'une des plus étonnantes (mais finalement attendue) de cette collection.
La première :



Expédiée en 1973, cette multi-vues nous propose plusieurs aspects de la ville. Je me plais à penser que Nicolas Moulin les nommerait "Grautag" !
Une chaussée sur un pont, du logement social, une place un rien vide, un centre commercial devraient réjouir notre ami artiste.
En 73, nous sommes encore en R.D.A... Je vous fais profiter de l'ensemble sous agrandissement cela accentuera encore l'effet "Grautag" !





Mais... mais nous sommes à Dessau... vous me voyez venir ? Allez... Dessau...
Oui !



Voici la seule carte postale de ma collection montrant le Bauhaus !
Certes c'est un peu loin, certes c'est peu lisible la modernité depuis cette image ! Pourtant il s'agit bien de l'école d'art la plus célèbre de la modernité architecturale.
La photographie est signée de Melzer pour Planet Verlag (éditeur) à Berlin. La carte postale est nommée Bauhausplatz, simplement. D'ici rien de révolutionnaire, un bâtiment administratif dans un espace urbain vraiment d'une grande banalité. Difficile de lire la modernité à tel point que je n'ai reconnu le lieu que par son intitulé !
On pourrait donc depuis cette image dire que l'architecture du Bauhaus est digérée, acceptée comme un lieu commun.
On pourrait aussi dire que sa révolution est passée et que notre œil a depuis l'habitude de cette rigueur.
On pourra une fois de plus dire que l'image (et la photographie) fonde aussi la révolution des espaces au moins autant que les espaces eux-mêmes. Représenter c'est toujours interpréter et parfois l'interprétation est prise dans des grilles d'images bien trop familières dont même les constructions les plus pointues ont du mal à sortir.
C'est aussi l'originalité du point de vue des cartes postales : elles extirpent souvent les architectures de leur déclaration de monumentalité pour les ramener à une réalité certes triviale mais aussi sans doute plus apaisée.
On remarquera aussi qu'une ville comportant ainsi l'une des plus extraordinaires constructions du siècle passé n'a pas su essaimer cet héritage et que, au moins dans sa manière de se représenter, le Bauhaus est là comme le reste dans un gris, dans un noir, dans un blanc bien normalisés.
Nous reste à remercier Nicolas Moulin pour ce qualificatif qui lui appartient et qui colle si bien aux choses vues aujourd'hui : Grautag.
N'oublions pas non plus de rappeler que le Bauhaus est l'œuvre de Gropius.



dimanche 19 février 2012

J'en fais des caisses !


Oui, j'en fais des caisses pour vous dégotter quelques belles cartes postales d'architecture ! Et ce matin, j'ai dû, assis sur un banc, en regarder au bas mot 4000...
J'en ai retenu "que" 80 !
Certaines ne nous concernent pas et sont des cartes postales pour d'autres thèmes que celui pour lequel vous venez ici : guerre de 14/18, métiers, images curieuses. Mais pour le reste si !
Et ce matin, je vous propose une petite sélection de ce mélange étrange d'images.
Vous êtes prêts ?
D'abord pour coller avec l'article sur Walker Evans :


Fifth Avenue, New Keningston par Robbins and Son éditeur.

Le Havre et son incroyable entrée de tunnel en pavés de verre par Alfa éditeur, carte expédiée en 1960 :




Une chose rare, l'entrée de l'hôtel de "la Caravelle" par André Bruyère architecte, une édition Cabe :


Notre Grande Motte favorite avec cette belle vue du dessus par Yvon éditeur. Monsieur Perceval, le photographe est nommé mais pas Monsieur Balladur l'architecte !



On retrouve messieurs Douillet et Maneval vus à Mourenx avec cette carte postale du V.V.F "le Solaret". Ils sont accompagnés de messieurs O. Caplan, De Villiers, Gueudelin et Cottard ! La carte fut expédiée en 1973 :



Encore un V.V.F que l'on connaît bien ici avec l'intérieur de "La chambre d'Amour" d'Anglet grâce à une édition de L'Europe. On notera le choc du design avec chaises en plastique orange et table de bois... Apercevez-vous par la fenêtre les jeux de Sculpture-Jeux ?





Pour finir, une très belle tour à Hansaviertel à Berlin par Herbert Maschke éditeur :


vendredi 17 février 2012

le Marcheur Evans



Si je devais établir une sorte de hiérarchie historique des photographes et artistes ayant le mieux saisi l'importance des cartes postales dans la formation du regard, je crois que Walker Evans serait une sorte de pionnier, de maître.
Dans ce superbe (et maintenant rare) livre, Walker Evans and the Picture Postcard, on découvre comment l'un des plus éminents photographes américains a dès son plus jeune âge accordé à la carte postale une importance méritée.
On voit aussi comment tout le long de sa vie et en parallèle avec l'établissement de son travail, il a défendu cet art parfois sous les sarcasmes amusés de ses confrères. Mais ce qui est encore plus étonnant c'est bien que ce qui constitue sa recherche correspond exactement à notre propre positionnement contemporain face à ce type d'images, tentant déjà à la fois de se réjouir d'une sorte de trivialité et d'une richesse inouïe.
La trivialité serait sur le versant de l'édition, de l'image de peu, de son accessibilité, comme si cette possibilité du partage des images causerait leur perte à l'univers de l'art. Mais cela tient également au contenu, aux lieux mêmes : une Amérique commune, celle traversée par des rues.
Mais la force de ces cartes postales est bien que, dans l'inventaire général de ce pays, elles produisent un effet de saisissement, un don d'ubiquité qui place l'ensemble d'un territoire dans une fragmentation de rectangles imprimés. L'Amérique y est comme inventoriée, fichée, décortiquée du moindre croisement de route, de gare minable du Middle East aux gratte-ciels new-yorkais. Puis dans cette masse, toujours et encore cette faculté et cette nécessité humaine de classer, ranger, répertorier à laquelle Walker Evans n'échappe pas...



Mais il y a aussi les images qui parlent de leur contenu. Il y a ces villes traversées en leur milieu par des rues boueuses, fabriquées de rien, de planches, dans lesquelles des silhouettes un peu loin donnent une échelle et rappellent la vérité. Et puis le commun de notre monde qui dès qu'il est photographié semble soudain magique, étrange jusqu'au rire ou à la tragédie de sa vulgarité.
Alors Walker Evans achète, lors de ses campagnes photographiques, des cartes postales et parfois les rapprochements entre ses propres photographies et ses cartes postales laissent dubitatif...





Il aime également qu'on lui en envoie, ne refuse rien et range méticuleusement les images. Il fait des conférences, publie ses cartes postales et écrit sur ses images. Il les défend...
Mais je crois aussi qu'il établit une sorte de prototype de collectionneur-photographe dont Tom Phillips serait l'héritier bien plus que Martin Parr : un amateur.
Ce que je veux dire c'est qu'il n'y a pas chez Evans de dédain vis-à-vis de son objet de collection. Il ne nous place pas en porte-à-faux mi-moqueur mi-envieux. Il aime.
Là où Parr joue à l'esthète capable de déceler dans cette catégorie des références à des écoles photographiques et semble rire sous cape de ce rapprochement sans tenter avec nous l'ombre d'une analyse ni même d'un éclaircissement de ses valeurs, Evans et Tom Phillips tout en étant amusés et intrigués tirent de l'objet, des images, une joie et surtout une position artistique qui donnent aux cartes postales une dimension documentaire, historique. D'une certaine manière, ils les sauvent.
Car tous deux y trouvent une sorte de justification, de reconnaissance à leur propre regard, une sorte d'ancêtre de l'image, utilisons un grand mot : un corpus. Et au lieu d'être effrayés que ce dernier soit populaire, commun, immense, et accessible à tous, ils en profitent, le travaillent au plus profond, l'analysent.
Il s'agit bien là du travail de l'artiste. Désolé pour vous Mister Martin Parr...
Alors j'ai trop peu de cartes postales en commun avec Walker Evans parce que ni mon territoire ni ma période ne le permettent. Et pourtant je pourrais dire que je ne fais finalement que le suivre tant les catégorisations sont identiques, tant le "ça" des images est commun. Et je me réjouis d'avoir trouvé une sorte de piédestal à ce travail et je m'autorise à penser que je suis derrière Walker Evans et derrière Tom Phillips. J'essaie comme eux d'être un marcheur d'images.
Maintenant faisons un petit tour dans ce beau livre :



Une photo d'Evans qui dit simplement l'attachement d'Evans aux cartes postales :
Postcard Display, 1941






Des photographies d'Evans tirées en cartes postales par le photographe :



Le livre présente aussi en fac-similé, les articles d'Evans dans la revue Fortune :



Regardons la collection :







Ce que Martin Parr appellerait boring postcard ...





et qui sont pour nous, si gripping !



Pour finir, la seule tentative de rapprochement presque réussie avec ma propre collection :




Walker Evans and the Picture Postcard
Steidl/The Metropolitain Museum of Art
Rosenheim
2009
isbn 978-3-86521-829-2