Monsieur Parent,
J'avais
acheté cette carte postale pour vous l'envoyer à votre anniversaire.
Comme un imbécile, j'ai oublié de le faire, alors, parce qu'il n'est
jamais trop tard, je vous la dédie.
Cette carte postale me parle
de vous. D'abord par son sujet qui est la grotte de Lourdes, celle par
laquelle vous avez en partie commencé votre carrière, première grotte de
votre œuvre, la grotte réelle, fendue et largement ouverte sur le
monde, architecture des gens à genoux, architecture du miracle. Vous
l'avez respectée, aimée cette première grotte, je me rappelle comment
vous m'aviez dit dans un rire que vous aviez toujours été suivi par
Bernadette, mystérieusement, comme ça, comme si c'était une cliente de
l'agence.
Vous avez fait peu de choses dans cette première grotte, on dit, modestement, que vous l'aviez
réaménagée.
En fait, vous nous l'avez offerte au regard, vous l'avez redonnée à la
prière, vous en avez donc redéfini le programme architectural en quelque
sorte. Quelle drôlerie ! En vidant les lieux, les donner à voir,
permettre enfin que le rocher, sa surface, sa courbe, puisse à nouveau à
l'œil et à la main, être touchés. Une table, un autel d'une grande
simplicité viennent dire sa fonction. Un devant, un dedans, une
circulation. L'une de vos plus belles réalisations avant l'autre grotte,
celle de Nevers.
Ici, cette carte postale a plusieurs effets
parce que, simplement, ce n'est pas celle de Lourdes... C'est une
maquette d'une copie future de celle de Lourdes mais, comme vous pouvez
le voir, elle reprend votre travail ! Étonnement et compréhension
parfaite et populaire de votre travail. Ici, les habitants de
Neunkirch-les-Sarreguemines ne savent sans doute pas qu'ils rêvent par
cette maquette à l'une de vos interventions. Et puis, c'est modeste.
C'est presque joyeux cette maquette, c'est touchant de gentillesse au
modèle, à la religion chrétienne et à l'amour. C'est vouloir une image
dans le réel d'un lieu loin, c'est une transposition d'une architecture
cryptique. Tout cela, c'est vous.
Car, si nous nous sommes
rencontrés, si j'ai eu ce plaisir qui était d'abord un immense honneur
et une incroyable surprise, c'est parce que vous aviez aimé comment je
disais que le bunker de l'église de Nevers était d'abord une image de
bunker, comme un déplacement, un glissement. Car les coques de béton
font semblant d'être défensives alors qu'elles sont fines et séparées
par un vide, vide qui est la vraie grotte de Nevers.
La voici :
Là
aussi, on est surpris. On est surpris parce que ce que l'on voit
d'abord c'est bien une architecture défensive, massive que l'œil avant
le corps reconnaît comme un bunker. On est autant surpris par son
surgissement que par la réalité de son existence, que vous ayez pu avec
Monsieur Virilio convaincre de la nécessité de sa construction. On est
aussi saisi par l'existence même d'une carte postale et que, sa
photographie permette aussi, force de l'image, de croire au bunker. Une
image populaire pour une architecture expulsant une image. Mais on sait
aussi la surprise de cette église, on sait ce que
Sainte-Bernadette-du-Banlay cache de lumière et aussi d'expérience du
corps devenu actif sur les deux pentes, brisant les perceptions, ruinant
les habitudes. On sait aussi que vous veniez vous y asseoir pour
entendre et voir comment les habitants vivaient votre architecture. Vous
la viviez au milieu de ceux qui en ont l'usage. Vous leur étiez à eux
disponible. Aviez-vous envoyé des cartes postales de votre église à vos
amis ?
Celle-ci est toujours debout.
Classée comme on dit.
D'autres
constructions n'ont pas eu cette chance comme
la maison des jeunes et de la Culture de Troyes ou comme le très beau
centre Thomson-Houston
dessiné avec Monsieur Virilio et abandonné par les institutions aux
démolisseurs. D'autres attendent des réhabilitations à la hauteur de
votre héritage comme la Fondation Avicenne qu'il ne faudra pas abîmer,
avec laquelle il faudra être extrêmement délicat. Nous serons vigilants.
Nous
avons partagé un combat, celui de Sens, puis un autre, toujours en
cours, celui de
Ris-Orangis. Nous avons réussi avec une énergie folle à
sauver Sens. Sens... ce nom de ville à lui seul maintenant suffit à
résumer cette architecture. Je ne dis plus
centre commercial de Sens
mais simplement Sens. Valeur d'usage du nom d'une ville pour dire
l'importance d'une architecture. Nous sommes arrivés à le protéger
contre tous ceux qui ne savent pas voir, contre tous ceux qui ne savent
pas qu'ils ont un corps.
Sens...
Mais je suis déçu. Je n'ai pas
dans ma collection de cartes postales de l'ensemble de votre œuvre.
C'est ainsi. Tous les bâtiments n'ont pas droit à cet honneur populaire.
Alors je me les invente, je me les édite pour nous battre.
Je
finirai sur ce verbe car c'est bien toujours d'une bataille dont il a
été question dans votre travail. Une bataille contre les préjugés,
contre nous-mêmes, contre une architecture parfois oublieuse de
l'usager, parfois trop soutenue par l'histoire sans savoir y renoncer.
Vous n'aviez peur de rien dans ce domaine.
Sans doute que comme votre ami Yves Klein vous aimiez les sauts dans le vide.
Bien à vous Monsieur Parent.
Et merci.
David Liaudet