Reprenons de suite l'exploration de cette donation.
Et reprenons en n'oubliant pas que c'est un artiste qui nous envoie ces cartes postales. On pourrait ainsi, l'air de rien, remarquer et isoler un petit groupe de cartes postales provenant d'une ville qui fut importante pour ce dernier puisque c'est celle de son école des Beaux-Arts : Cergy !
Ce n'est donc certainement pas un hasard que Nicolas Moulin ait pu posséder des images de cette ville. Les a-t-il achetées sur place pendant sa formation ? Forment-elles une sorte de corpus nostalgique ? Sont-elles simplement des cartes postales comme les autres ?
On ne peut en tout cas mettre de côté le fait que l'image d'une telle ville et ce type de représentation soient un signe de son travail presque un contre-pied à celui-ci !
Et vlan !
Cette carte postale Lyna nous montre donc Cergy dans une vue générale bien axée. Au premier plan les constructions de Bofill qui n'arrive pas depuis ce point de vue à camoufler les tuyauteries extérieures. Les corniches moulées ici ne servent à rien ! On voit une ville encore en construction et une grue s'amuse elle, à se désaxer derrière la pendule ! Sans doute que d'ici, le photographe des éditions Lyna, Paul Viard, voulait nous dire la densité de l'urbain et l'horizon campagnard...
Descendons un peu...
...Même éditeur et toujours Monsieur Viard comme photographe pour cette carte postale qui nous montre la Place du Marché et la Mairie de Cergy. Le Photographe, bien campé sur ses deux pieds, se place exactement dans l'axe évoqué plus haut. Quelque chose d'italien, quelque chose de Sienne dans une géométrie dure pourtant adoucie par une coloration pierreuse blonde et chaude. Il faudrait enlever les parasols et les chaises en plastique, les géraniums toujours inutiles pour trouver un point de vue digne d'une cité idéale vide, parfaite, presque terrifiante.
Malheureusement la pendule dans son design digne d'une swatch trouvée dans un leader price brise un rien cette capacité onirique. Nicolas Moulin, assis en terrasse, a dû un jour de mai un peu chaud, lire ici l'autobiographie de Claude Parent et s'éveiller encore un peu plus à l'espace qui l'entourait. La prise de conscience dans un lieu tel que celui-ci est redoutable, troublante et motrice.
Il a alors marché, le nez au vent, regardant le ciel au travers...
...des jeunes arbres chétifs. Il a compris, son corps passant dans la Place de la Fontaine que les espaces qu'il aimait il devrait bien plus souvent les inventer que les parcourir. Et la brique encore, le béton moulé encore, et les messieurs sérieux qui vivent là lui donnèrent à jamais l'envie d'être celui qui fabrique, qui manipule, qui génère ses lieux. Il a levé la tête. Novomond. Il a levé la tête et l'horizon presque seul a basculé.
Les formes grandes des architectures, les formes sont devenues étranges, inconnues et de nouveau...
...elles s'offraient comme des sculptures, hors d'un programme utile : déprogrammées. La préfecture de Cergy devenait aztèque, perse, babylonnienne comme tombée là. Il voulait arracher les fleurs, piétiner l'inutile décorum, faire venir la terre rouge. Il voulait être seul devant son soudain éclaircissement. Tout était à la fois clair et confus. Il voulait le réel comme point d'appui...
...il voulait sa vulgate. Les couleurs des céramiques chutant des façades de la bibliothèque de Cergy formées au sol comme des cailloux venus d'ailleurs. Les échafaudages de sa restauration comme une antenne mystérieuse et le vide de l'espace ponctué d'hommes en bleu était le signe d'une fiction bien orchestrée mais maintenant dévoilée. Il avait soudain la sensation d'une extralucidité sur ce monde. Il percevait.
Derrière le buisson misérable, il regardait l'architecture de l'ESSEC. Il cherchait alors dans l'anagramme les définitions possibles, les signes d'un code secret. Il croyait que tout soudain était langage à décrypter. Il avait raison. Il suffisait de ce pas de côté, de ce regard à l'oblique pour briser l'évidence. Pourtant aucune image ne rendait compte encore de ce bouleversement. Aucune. Il devra les faire, il devra montrer à tous ce qu'il avait vu là.
Et...
...le bleu trop fort d'un ciel trop chaud, le blanc trop dur d'une arcade inventée le réveilla. La silhouette vert pomme d'une jeune fille au loin, lui rappelèrent sa vie, sa joie.
On rira de cette architecture, on l'aimera aussi parce qu'elle dit aussi son onirisme et qu'il faut lui reconnaître d'avoir inventé un lieu. Le jeune artiste alors, le corps collé contre la colonne de marbre blanc de Dani Karavan visera ce ciel. Il verra alors la surface du monolithe blanc comme un gigantesque terrain de jeu, une piste infinie sur un sol inconnu. Superstudio.
Plus aucune expérience architecturale ne sera ignorée. Plus aucune. C'était la promesse qu'il se faisait à lui-même en glissant dans l'ombre grasse du monolithe.
C'était à jamais son Axe Majeur.