Regardons ces cartes postales :
Posés dans la ville, des volumes de bois peint proposent à la fois l'invention d'un lieu éphémère et un praticable urbain se jouant de la limite entre sculpture, jeu, architecture à échelle réduite, caisse de livraisons.
On peut à loisir choisir sa référence sauf que l'artiste, en travaillant directement avec les associations et les habitants, invente bien surtout une sorte d'outil relationnel, une mécanique de la rencontre. La capacité de projection est ici non pas une absence de décision de l'artiste mais bien un écran aux désirs, un libre-cours.
Il ne fait aucun doute que la qualité plastique de l'ensemble est au rendez-vous. Les formes simples des parallélépipèdes offrent une sorte de calme, de repos aux débordements formels de la ville, à sa richesse de signes ici ralentie, atténuée et surtout encadrée.
Les photographies sont de l'artiste, Eden Morfaux, et donc il s'agit bien là de son point de vue sur son propre travail.
Que nous dit ce point de vue ?
D'abord toujours d'un peu loin, Eden Morfaux va chercher la ville, la pose au travers des vides des espaces jouant des grilles de l'architecture et ne se refusant pas sa réalité parfois poétique comme le camping-car qui offre son rêve de mobilité contre la fixité de la ville et l'errance de la sculpture de l'artiste qui se déplacera de point en point dans la ville de Gentilly comme on peut le voir sur cette carte postale :
On remarquera que les localisations sont reprises au verso de chacune des cartes postales par ce même petit signe.
On perçoit aussi l'architecture un peu dure parfois mais qui par l'échelle de l'objet de Eden Morfaux démontre une qualité de la ville : des espaces disponibles. Cette ouverture du sol urbain, sa disponibilité à l'intervention sont ainsi affirmées par l'artiste. "il y a de la place" bien plus que "il y a une place". Faire de la place à la rencontre, à l'échange mais étrangement sur les cartes postales même de l'artiste, il y a du vide puisque rarement sur ces images les habitants ne sont visibles. Dans ce moment de l'image, la sculpture semble bien plus une œuvre minimaliste oscillant entre un Carl Andre désordonné, un Sol LeWitt amusé, ou un Rietveld inutilisé. C'est pourtant bien la qualité de ce vide qui fait le bonheur de ces vues sur la ville, la réjouissante possibilité d'un espace à entreprendre, un archipel, un eden.
Le lieu à la fois isolé et isolant, espace à la Robinson Crusoé qu'il faudra cultiver, user, donc vivre.
L'artiste en utilisant la carte postale comme moyen de partage de cette expérience doit vouloir l'offrir dans un média populaire que les habitants une fois encore pourront s'approprier. C'est l'occasion de trouver son lieu, de le partager et aussi de l'archiver dans les familles. C'est donc un bel objet éditorial dont il faut souligner la grande qualité d'impression et de composition.
Pour la dernière et grande pièce, le square Utopia, l'artiste détermine seul la forme et la proposition spatiale en travaillant également d'une manière forte la colorisation.
Cet orange fluorescent donne aux images une forte imprégnation d'artificialité comme s'il s'agissait d'imagerie informatique. J'ai d'ailleurs hésité longtemps devant ces images à croire en leur réalité physique. Les ombres violettes ont sauvé ma perception. Cette fois, des jeunes viennent animer le lieu immaculé et les sons des pas et des rollers résonnent jusqu'ici. L'échelle est humaine, les espaces proposés sont ici bien plus ordonnés presque comme un jardin à la française dont les topiaires auraient été remplacées par ces colonnes orangées. Une géométrie pour des corps libres qui se rencontrent, s'assoient, discutent, courent : la frénésie simple d'un jeu possible ou d'un repos.
Nous terminerons en remerciant Guillaume Grall pour cet envoi et nous signalerons qu'il a composé et mis en page le journal de cette intervention de Eden Morfaux en sachant comme à son habitude jouer des contraintes, des formes et des espaces de la pagination, écho parfait finalement aux espaces sculpturaux d'Eden Morfaux.
Le square Utopia est visible jusqu'au 16 septembre 2012 à Gentilly.
3ème édition
l'art dans la rue
2011/2012
Fabrique d'archipel
Eden Morfaux
http://www.edenmorfaux.com/a/
pour connaitre mieux le travail de graphiste de Guillaume Grall :
http://www.playgground.net/index.html