dimanche 24 mai 2009

bunker archéologie postale

Les cartes postales de bunkers sont rares.
Je crois que d'une certaine manière c'est normal.
C'est sans doute sur cette normalité que la pensée de Monsieur Virilio a eu raison de se fonder lorsque il écrit Bunker Archéologie et qu'il ose mettre en avant ces objets, en faire des architectures, les visiter et les vivre comme des agents créateurs de bouleversements corporels ; il ose mettre de côté la fonction pour laquelle ils sont construits. Je ne paraphraserai par le philosophe, j'en suis bien incapable et à quoi bon, tant ce texte est puissant et juste mais je dirai, que moi qui suis pourtant d'une autre génération, j'avais pressenti cette possibilité et je l'avais pressentie à rebours, cherchant et ressentant ce trouble dans des bâtiments qui n'ont rien de militaire. 
N'oublions pas que la puissance de cette expérience tient justement dans l'ensemble des jeux de la sensation, c'est une idée de l'architecture qui ramène du corps.
L'expérience des bunkers est celle fondamentale des grottes. L'adjectif de Monsieur Virilio est cryptique.
Mes parents adoraient nous faire visiter des grottes lorsque nous étions enfants. Nous visitions aussi des caves. Malgré une peur bleue du noir (tiens c'est coloré !) j'aimais ces visites. J'aimais sentir la fraîcheur descendre sur les épaules et l'incroyable saisissement des espaces qui se révélaient là, pourtant insoupçonnables de l'extérieur. L'espace qui se déploie ainsi semble improbable, fort et rassurant.
Il en va ainsi des bunkers. D'abord masse de puissance et de terreur, il est toujours incroyable de voir soudain une fente bleue les ouvrir, les écarteler sur des horizons. Ils offrent à la fois la fragilité du monde extérieur, palpable, et le sentiment d'un privilège incroyable et d'une intimité de la visée. L'œil se serre sur la mire. J'ai aussi reconnu ce phénomène dans les stands de tir. Lorsque l'œil vise, le corps n'appartient qu'à cette espace étroit mais ferme qui va de la cible à la mire. Tout autour disparaît.
Mais les bunkers aussi s'écroulent et leur déstabilisation offre des gravités inattendues.
Les percées, selon les bunkers et leur état de dégradation ne visent plus la mer mais le ciel ou le sable, l'obscurité est déchirée par une fente dans la paroi et le sol se dérobe sous les pieds. Plus rien n'est stable alors que la masse offre encore l'idée de cette stabilité. Ils sont là pour mille ans et finalement 20, 30 ou 50 ans après ils sont déjà ailleurs dans le domaine de l'archéologie.
C'est la terre qui les avale. les nazis n'y avaient pas pensé. La terre les avale, la mer les giffle à grand coup de vagues.
Voici :



 
Une série de cartes postales éditées par l'office de loisirs, forêt de Eperlecques dans le Pas-de-Calais. On voit sur celle représentant le calvaire des déportés le texte suivant :
Plus de 6000 prisonniers, déportés, jeunes du S.T.O de dix nations différentes vécurent ensemble au camp de concentration de Watten-Eperlecques pour ériger ce formidable Blockhaus de plus de 100 000 m3 visuel.
C'est bien aussi de le dire.