Il s'agira de ne pas trop vite croire en ce qu'il raconte d'une tranquillité qui serait celle des images de ses cartes postales et de savoir aussi reconnaître dans cette correspondance une manière de réassurance.
Il s'agira aussi depuis quelques clichés tirés de l'album algérois de ce père soldat, de regarder la ville d'un point de vue plus étrange (même délicat, un rien difficile) pour moi.
Non pas que les images soient particulièrement dramatiques mais ce corps couvert d'un uniforme et en compagnie d'autres quasi identiques, ce corps est bien celui de mon père.
D'abord ce qu'il montre dans le temps réel de son expérience avec ces deux cartes postales d'Alger, toute deux envoyées le même jour et datée du 28 janvier 1960 :
Envoyée à ses parents (mes grands-parents donc) cette vue du Boulevard de la République et des quais.
Rien de cette carte postale bien évidemment ne peut dire quoi que ce soit de ce qui se passe. Il s'agit donc bien d'une image vide, désarmée. Elle pourrait même dans le grand nombre de tirages de son édition se perdre à l'histoire comme un cliché mal venu de la ville. Mais la correspondance dans son contenu et son contenant en fait une carte postale vivante et vibrante, presque intouchable.
J'imagine mon père achetant cette carte postale pour ses parents. Sa projection de leur inquiétude, le désir de les rassurer et aussi de s'en approcher. Choisissant sans doute également une carte la plus neutre, la moins dramatique possible, comme celle qu'il aurait choisie s'il était en vacances pour que ce lien soit un lien rassurant.
Dans quelles conditions d'ailleurs ce courrier de militaire était-il effectué ? Sur quel temps pouvait-il faire cet achat ? La carte postale n'a pas été timbrée et possède un tampon en forme de T et l'inscription F.M. (Force militaire ?)
Voyons le texte : " Nous y sommes. Tout est tranquille et le soleil brille. La vie est belle. Bons baisers. Jean"
Nous y sommes dit bien qu'il y a là quelque chose. Ce n'est pas je suis bien arrivé. Le nous dit la troupe, le contingent, le groupe. Tout de suite il relativise avec tout est tranquille qui, dans le même temps qu'il dédramatise étrangement appuie le fait que cela est curieux et que c'est bien le contraire qui pourrait être attendu. Mon père finit avec ce soleil qui brille et la vie est belle qui me laissent totalement perplexe ! Humour noir, réalité étrange finalement d'une situation inconnue, plaisir possible d'une vie un rien aventureuse ?
Je ne sais pas.
Ce qui me touche c'est bien qu'il signe Jean. Jean étant une partie de son prénom et celui de son père. La carte à la main, ma grand-mère a dû plus certainement dire : " Y a une carte de Jeannot qui est arrivée ce matin"
L'autre carte postale :
La carte des éditions Combier nous montre la Poste, la rue Michelet et la rue d'Isly à Alger donc.
Envoyée à son cousin, elle possède pour ce qui est de l'image les mêmes propriétés d'indifférences aux événements que la précédente. Nous admirerons après tout la très belle Poste et les rues animées de la ville colorisée.
Mais voyons la correspondance : " Je pourrai dire à mes petits enfants "j'y étais" mais pour l'instant nous sommes consignés au port. Luxe suprême nous avons eu une douche. Le soleil brille. La vie est belle. Jean "
On retrouve la même fin. Ce qui là fait un point dur pour moi c'est l'évocation des petits enfants... qu'il n'aura jamais connus. Mais pourquoi pas les enfants ? Car, enfin, il admet possible de raconter cette expérience à la génération des petits enfants et non à ceux de ses enfants !
Enfants qu'il n'avait pas d'ailleurs à ce moment-là puisque nous n'étions pas encore nés ! Il joue donc au vieux soldat racontant sa bataille ! Il s'amuse aussi de la situation délicate de la douche et le luxe indique bien le manque. Il dit d'une certaine façon bien plus de choses sur les raisons de sa présence là-bas à son cousin qu'à ses parents. Lire entre les lignes est plus aisé ici.
Un peu plus tard :
Le 2 février 1960, jour de son anniversaire, il a tout juste 22 ans (je tremble) il dit à ses parents : " J'ai campé 3 jours à la place marquée par la croix. Pour moi la "guerre d'Alger" est finie, je retourne un mois au bureau o(?)P/ville. Ecrivez-moi au SP 87420. Bon baiser. Jean"
Beaucoup de questions. Pourquoi camper ainsi en ville ? Quel type de campement ? Que veut-il dire par guerre d'Alger ? Pourquoi est-ce la fin pour lui ? Revient-il en France à ce moment-là ?
Et ce code SP 87420 ?
La carte postale des éditions Jomone est bien marquée d'une croix ici :
On retrouve la Grande Poste.
La réalité :
Ce dos est bien celui de mon père, c'est lui qui l'indique au verso du cliché. Il fait l'écoute radio et indique à gauche les deux antennes.
Que regarde-t-il ? Est-il parfaitement concentré dans sa tâche de militaire (9ème Régiment de Combattants Parachutistes) ? Pense-t-il aux cartes postales qu'il vient d'expédier ? A sa Vespa restée à Caudebec ?
Je plonge mes yeux dans les détails de sa nuque, ses cheveux courts, son appui sur le rebord de cet immeuble inconnu. J'aimerais bien tenter de retrouver ce lieu.
Une autre photographie :
Ce jeune militaire n'est pas mon père. Au dos du cliché, celui-ci indique " chacun veille de son côté". L'œil vers le bas, le militaire semble bien surveiller, être attentif. Un autre immeuble blanc et moderne a aussi droit sur sa terrasse à des militaires en action.
Est-ce ici le même soldat ?
Et comment diable mon père avait-il le temps et le droit de faire de telles images ? La seule choses qu'il nous racontait à nous ses enfants de ce moment était qu'il était "photographe militaire" sans jamais nous en dire davantage sur ce rôle et cette fonction. Il est d'ailleurs revenu avec un appareil Foca à la lentille faussée par le sable nous disait-il. Il avait aussi dû abandonner à son retour une quantité de pellicules lors de son embarquement sur les ordres militaires...
Mais comment l'ensemble des images de cet album ont pu, elles, passer ?
Pourquoi demander à un appelé parachutiste de faire des photographies ? Si des anciens du 9ème R.C.P. ont les réponses...
Je vous montre deux autres images de ce moment de surveillance de la ville d'Alger :
De mon père, je ne vous montrerai que cette photographie :
Il est appuyé sur son Vespa militaire qui nous faisait (eh oui...) rêver, enfants. Il appelle ce Vespa son cheval de course. Dans sa main, un détail m'amuse. Il tient l'étui en cuir de son Foca. Qui prend la photo ?
Je dédie cet article à tous ces visages algériens et aux appelés du contingents qui sont réunis dans cet album. Leurs ombres partagent les pages, les composent en histoires pour moi inconnues. Je les garde encore un peu au secret.
Les anciens du 9ème R.C.P qui auraient une ou des histoires sur mon père à me raconter peuvent évidemment le faire. Merci.