Tout dans cette carte postale m'a plu.
D'abord évidemment l'architecture représentée. Nous sommes sur l'avenue Kalininsky à Moscou. Le bâtiment ouvert comme un livre, la façade reçoit tant de lumière que la photographie finit par blanchir.
De ce point de vue l'immeuble semble fin. Cet effet est produit par son décrochement aux extrémités et par la différence de traitement entre ce qui est montré sur rue et ce qui est caché derrière. La régularité est brisée par un double étage aux ouvertures verticales. A quoi cela correspond-t-il ? Difficile de le dire ainsi.
Difficile aussi de dire comment se détermine la liaison entre ce récepteur et le bâtiment bas et horizontal à ses pieds. C'est poser l'ensemble sur un socle certes, mais un socle léger presque fragile face à la masse qu'il supporte. On pourrait y voir une galerie marchande, des restaurants, bref des bâtiments de partage entre les piétons et la rue. Tout cela est complètement transparent, léger et incroyablement long, c'est ce que nous raconte la perspective. On dira aussi la répétition du modèle, bien rangés les uns après les autres les immeubles identiques génèrent un sentiment de puissance mais aussi de gigantisme, d'ambition et d'implacable planification que j'aime tout particulièrement. Plan Voisin dans le réel.
L'enseigne en forme de Terre, de satellite sur son trépied nous évoque Spoutnik. Il vient d'atterrir là au coin, naturellement, comme sur un parking à vaisseaux spatiaux. Tout cela ajoute au sentiment de modernité presque de futur, un futur un peu terni comme venu de très loin dans le temps et dans l'espace car il suffit d'une calandre d'automobile, d'une chemise aux manches retroussées pour que cette sensation d'avenir s'écrase dans un passé bien daté.
Et puis l'image dans sa fabrication ne peut qu'être d'une autre époque. Son glaçage s'écaille, les couleurs se sont éteintes certainement à force de voir le jour et son papier fin n'a pu la protéger des plis dans les coins. Tout dans ce papier dit l'inverse de l'image. Tout est trop juste, trop limite manquant d'ambition. Tout part en faiblesse, s'efface lentement, irrémédiablement. Le ciel se blanchit et au fond déjà disparaissent les immeubles pris dans le brouillard de couleurs qui deviennent laiteuses. Il ne restera, oui, que le petit panneau de sens interdit au rouge écarlate et il ne faudra pas trop vite y voir un symbole d'illusions perdues car souvent ce sont les images les plus faibles qui font le plus rêver dans un mouvement alternatif allant de la mémoire aux songes.
Je trouve une autre vue de cette avenue Kalininsky ou Kalinin.
édition Beriozka 1981
Cette carte postale cette fois affiche clairement ses intentions. On retrouve la mappemonde et la nuit offre l'occasion au régime de tirer parti des ouvertures des constructions. Qui avait vu cela comme possible ? L'architecte ou le politique comprenant là qu'il était possible de faire agir ces fenêtres comme des pixels. Il suffit de souligner du flou de drapeaux rouges et l'architecture devient la surface à projection politique : remarquable.
On suppose aussi l'organisation qui construit chaque soir l'extinction ou l'allumage des ampoules. On voit le fonctionnaire passer de bureau en bureau, basculant les interrupteurs avec son plan à la main, à moins qu'une manette dans un sous-sol ne produise l'inscription d'un coup. On imagine aussi Monsieur Hulot passant par hasard dans les étages et composant à l'envie et sans s'en douter des inscriptions hilarantes de quatre lettres !
Enfin deux cartes postales toujours de l'avenue Kalininsky.
édition Intourist 1978
Le jour est revenu et la ville se dit un peu mieux. Grande avenue large, immeubles face à face.
Et surtout la sensation que les hauteurs sont à leur maximum, dans un isolement bien grandiloquent. Tout est dit là, dans cette perspective, à la fois la puissance et son manque d'étalement. L'architecture est donc à la fois dans le construit et dans ses creux. Il faut cadrer serré pour que Moscou en 1978 et 1981 soit moderne.