Il s'agit en effet d'une carte postale représentant l'un des magasins BEST à Houston par le groupe SITE (1975). La carte postale est du type de celles décrites hier, une carte postale provenant d'une collection d'un éditeur allemand "Die Zweite Moderne" certainement disponible dans les musées et institutions et bien évidemment pas distribuée ni par BEST ni dans la ville de Houston. Enfin, on peut penser aussi qu'il puisse en exister de la sorte...
La photographie de cette carte postale est réalisée par le Groupe SITE et donc nous montre le point de vue des concepteurs. Il faudra parler de cela aussi.
Regardons :
La carte postale ne fait pas beaucoup mieux que le regard et sans doute la photographie accentue le jeu de la ruine, l'amusement et l'humour de cette façade qui s'écroule. Pourtant en même temps que l'on constate cet accident architectural on sait immédiatement sa fausseté. L'illusion n'est que de code, il n'est pas question ici d'imitation de la ruine. On joue à faire semblant, on s'amuse avec le spectateur, on n'essaie pas de le gruger. Il s'agit d'une impression, pas d'un effet hollywoodien voulant nous faire croire en la réalité du leurre.
Ce n'est pas pour rien que James Wynes dans les textes publiés dans Architecture d'Aujourd'hui nomme Marcel Duchamp. Ce jeu permanent entre réalité, imitation, illusion et nomination sont sans doute l'une des articulations de ce groupe. Mais c'est aussi un arbre qui cache la forêt un peu à la manière d'une peinture de Magritte car la réflexion d'usage, la perception de l'urbain, le rôle programmatique n'est jamais oublié par le groupe Site qui, malheureusement, se fait déborder par l'image même de ce qu'il produit. Ses façades pleines d'humour pour Best sont bien des façades de leur réflexion. Pourquoi alors même que l'intelligence des réflexions portées sur les programmes architecturaux ne fait pas de doute, ce Groupe Site se croit-il obligé de le cacher par un jeu d'images, une plaisanterie ?
C'est bien que sans doute, d'une certaine manière c'est là son point duchampien : la remise en cause d'un art qui s'épuise doit se faire non pas par une logique de destruction totale des acquis de la Modernité mais par un biais plus puissant (plus populaire aussi) : l'humour.
Car être iconoclaste n'est pas d'utilité dans un art qui est le seul vrai art public comme le réclame haut et fort James Wynes. Il faut à la fois offrir l'espace d'un doute pour permettre (sans doute) de prendre le problème de l'invention permanente, du désir de modernité avec l'ensemble des usagers de cet art. Et là pourrait bien être l'écueil de ce type d'image. L'image est plus forte. L'échec de Duchamp (oui) est du même ordre. A vouloir moquer l'académisme d'une posture moderne sans fin, il devient cynique et prend le risque de n'être que le type qui exposa un bidet. Il préférera ne rien changer à cet héroïsme artistique alors même que dans un secret (contraint ?) il poursuivait un travail artistique tout en laissant croire qu'il ne faisait rien d'artistique...C'est la même chose ici. On finira par se souvenir du Groupe SITE comme ceux qui faisaient des magasins en forme de ruines alors même que leur travail de réflexion urbaine et architecturale est d'une complexité bien plus grande, bien plus fine. C'est le risque des images. Pourtant cette photographie de carte postale nous donne un signe de cette réflexion. Nous sommes à hauteur d'une automobile sur le parking et nous regardons de loin le magasin. De loin ainsi nous le percevons dans sa globalité, dans son décor mais également dans sa fausseté. La qualité des réalisations du Groupe SITE est totalement déterminée par les modes de perception. Dans un texte absolument remarquable, quoiqu'un rien obsolète sur la question de l'informatique, James Wynes parle de l'importance de la perception de l'architecture au travers des pare-brises des automobiles !
(Merci chère intuition !) Je ne peux malheureusement vous le donner à lire dans son entier mais la question est primordiale. La réponse...
Car il s'agit bien là de produire une architecture qui met en cause à la fois l'image de marque d'un groupe (et ici la réponse pourrait bien être du côté de Warhol feignant de dénoncer la société de consommation en se roulant dedans) mais aussi une architecture qui offre à ceux qui la pratiquent un moment différent, une stratégie de l'étonnement et donc un effet de communication (le mot affreux et la chose affreuse) qui feront une sorte de mise en scène du geste quotidien. Et je vous vois venir... Car ici, le magasin Best ne remet pas en question la fonction commerciale, la dérive consumériste américaine. Non, il ne fait que l'offrir autrement dans une sorte de jubilation qui, si elle joue du symbole de sa ruine ne fait finalement que la construire autrement et donc... y collaborer. C'est l'Amérique. Et, comme à la fin des grands films du génial Spielberg il ne sert à rien de s'étonner que cela finisse bien, il ne sert à rien de s'étonner que des architectes américains tout en ayant des propos et des réalisations remettant en cause la place de ce type d'architecture dans le paysage ne font rien d'autre que d'en installer d'autres ! C'est là aussi une position duchampienne : ne pas cesser de dire qu'il ne faut rien faire tout en continuant de faire quelque chose en se moquant de vous en train de tenter de ne rien faire et d'imiter une posture qui n'est pas assumée par son initiateur. (et c'est tant mieux). Les imitateurs font toujours un Art de façade. Ce que ne fait pas le Groupe SITE dont il faut vraiment déborder la question de l'image pour retrouver l'intelligence des plans, les subtilités des matériaux (de leurs images aussi c'est vrai) et la volonté de faire une architecture sensible et même sensuelle (débordant le sensationnel). Mais on peut par vrai cynisme préférer ça :
Nous sommes à Avignon devant un supermarché Casino. Mais pourquoi je précise ? Comment pourrait-il en être autrement puisque la seule valeur esthétique de cette image et même de cette construction est bien son inscription, sa nomination en lettres rouges sur fond jaune cuivre. Rien de plus rien de moins. Impossible de dire de cette architecture : ceci n'est pas un supermarché et là aussi Magritte serait bien triste. Il y a des objets qui sont ce que sont leur image. Par exemple : ce mug est bien un mug...
Et avec l'exemple d'Avignon on ne peut rien, vraiment rien dire de l'architecture. On admirera surtout l'incroyable rangée de jardinières qui dirige les automobilistes vers la pompe à essence et c'est sans doute la seule réflexion posée sur le tissage de la ville par cette architecture...
Alors, sans aucun doute j'aime mieux le Groupe SITE. J'aime leur humour décadent un rien dandy. Et même si la révolution n'a pas eu lieu et que nos campagnes s'emplissent de boîtes à chaussures dont on finira bien par en aimer quelques-unes, je trouve que les architectures produites par le Groupe SITE ont le mérite d'une tentative, d'une réflexion et d'un onirisme qui me comble.
Bien à vous.
Voici quelques images parues dans l'Architecture d'Aujourd'hui :