mardi 11 octobre 2011

un modèle français : malheureusement ?

Voici trois cartes postales de "grands ensembles" :







On pourrait rapidement en regardant ces trois images se dire qu'il s'agit du même endroit, du même architecte, du même projet.
On n'aurait finalement pas tort sur le projet sans doute : du logement social, un quartier avec son centre commercial, sa galerie marchande, son parking.
Pour le reste...
La première :
Nous sommes à Lyon la Duchère (le plateau). La carte postale Trollet date de 1964 et ne nous indique pas le nom des architectes François Régis Cottin et Frank Grimal. On devine au fond assez majesteuse une barre franche et puissante à la grille très déterminée. Le cliché est absolument superbe, le document rare.
On perçoit en bas de l'image que le chantier se termine et le centre commercial prend la mesure de sa modestie face à la barre. Une sorte de fragilité l'oppose à la masse.
La seconde :
Nous sommes cette fois à Nancy dans le célèbre Haut-du-Lièvre grâce à une carte postale La Cigogne sans date.
Depuis une légère hauteur on vise là aussi la petite galerie commerciale qui s'aligne et se fait déborder par la barre qui n'en finit plus de toucher l'horizon. Certainement l'un des plus célèbres monstres de l'architecture française du logement social, une forme d'apothéose inouïe et aujourd'hui décriée. Aujourd'hui seulement ?
Bernard Zehrfuss qui en est l'architecte a fait ici une œuvre sévère, rigide, presque dédaigneuse. Difficile maintenant de soutenir une telle âpreté même en se réfugiant derrière un classicisme un ordre, une composition.
Pourtant... je sais que je cède facilement à la fascination d'une telle puissance. Ma fascination ne m'oblige pas à y vivre !
Je balancerai donc toujours entre une irrépressible admiration et une inquiétude face à une pensée qui forge une telle forme d'habitat.
Et son abstraction tombant comme un jugement de valeur sur l'habitant est une question difficile. C'est la limite atteinte par l'architecte qui "ordonne" plus qu'il ne construit. On pourrait aimer le Haut-du-Lièvre comme on aime Vauban. Sans défense, sans son programme, juste pour une géométrie paysagère qui n'oblige justement aucun corps à s'y immobiliser. Le plus beau mur du monde...
La troisième :
La cité de la Tour à la Courneuve, rue Renoir...
Je ris de Renoir venant peindre là, trop tendre sans doute, trop mou.
Il faudrait un peintre plus sec, cernant de noir, tirant à la ligne et apposant les aplats comme des coups de couteau.
Mais cette carte postale Yvon n'a pas besoin de peintre. Elle dit tout, d'un coup de noir et blanc colorisé. Elle dit l'architecture qui pousse sur des chemins de grue, qui suit à l'infini les parallèles, qui ne finit que par manque de crédits, d'habitants, d'ambition urbaine.
J'imagine encore et encore les traits au tubulaire sur les règles des apprentis architectes. J'imagine la rationalisation parfaite comme une forme d'hygiène de vie, une pensée toute tournée vers l'élimination des différences parce que le moule de béton ne supporte pas le débord. Alors la vie doit suivre.
Reste une image que j'ose trouver superbe encore, sans doute (et c'est aussi là mon incorrigible défaut) parce que vide... Je rêve de l'espace inscrit sur la dalle qui fait le toit du centre commercial, je rêve de cette géométrie une fois de plus dure et parfaite. Et je me pose la question de son inutilité urbaine, de ce désert construit sans objet, sans raison, sans promenade. Cet aplat d'architecture me fait jubiler, m'emmène dans un imaginaire de solitude, tranquille. C'est, je vous l'accorde, effrayant mais cela me rassure aussi.
Mais je visite plus facilement mes images ayant compris depuis peu que le réel a comme force la déception. Et c'est une force habile qui vous prend sur un refrain de nostalgie, de rêves oubliés, d'utopies encore adorées.
Que faut-il donc penser de ces lieux ?
Je veux m'autoriser à les trouver beaux, indéniablement monstrueux et inaccessibles.
Non pas que je ne puisse pas les voir, mais je ne les vis pas. Ils sont finalement pour moi bien plus comme des sculptures, des pleins, des vides. Et cette dimension sociale, cette exactitude de l'expérience doivent aussi admettre que nous sommes nombreux à les nier pour nous réjouir en toute innocence mais dans un luxe insultant des images bien plus que du réel.