Fermez les yeux et pensez à l'entrée de votre supermarché. Je parie qu'à droite juste là le rayon téléviseurs à écrans plats et le manège à bijoux moches sont votre première image... Au fond du magasin, comme perdu dans une grotte introuvable, tout en bas d'un rayon, le kilo de farine premier prix vous attend si vous savez le trouver...
On comprend pourquoi je suis si attaché aux centres commerciaux de Claude Parent qui sont la preuve qu'il était possible de faire avec cet objet un travail remarquable.
Regardons avec deux cartes postales comment dans nos paysages parfois s'installent ces monstres de l'échange et du flux, ces nœuds sociaux du rituel de l'achat.
D'abord près de chez moi, ce qui fut pendant quelques années une sorte de Saint Graal à notre enfance : le centre commercial de Barentin.
La carte postale "La Cigogne" nous montre ce qu'elle appelle le Centre commercial de Mensil-Roux dont l'essentiel est un Carrefour. Enfants, nos parents nous emmenaient là et c'était une sorte de fête moderne, de jubilation seventies de la découverte de ce genre d'énormes espaces commerciaux. Le must étant de manger à la Cafétéria dont la seule prononciation nous faisait rêver à un mélange de feuilleton américain et l'an 2000. C'est là que nous achetions, pour la première fois, nos céréales pour le petit déjeuner. La Renault break garée, nous courions, sautions tels de joyeux petits cabris prêts à être dévorés sans retenue par le loup commercial sachant faire briller l'inutile. Nous étions déjà cuits...
Venir là était bien une expédition, il fallait prendre l'autoroute comme pour aller à la mer... Et sur le parking une star, une vedette, nous attendait déjà. La statue de la Liberté, celle-la même qui avait servi dans le film "le cerveau" avec Bourvil et Belmondo, film que nous adorions mêlant drôlerie aventureuse et gaudriole franchouillarde. J'ai encore la chanson du film dans la tête. A chaque passage du film à la télé, il y en avait bien un parmi nous pour dire "c'est la statue de Barentin" en rêvant sans doute que cela déclenche l'envie d'y aller faire un tour chez l'un de nos parents.
La carte postale nous dit bien le nœud et le piège urbain. Au premier plan, le réseau routier qui va desservir le centre commercial accroché comme un ganglion au réseau autoroutier, grand axe Paris, Rouen, mer. Il y a fort à parier qu'une partie de ce réseau fut payée par la société même du centre commercial. Puis, il faut un signe de reconnaissance, quelque chose qui vous installe un souvenir indélébile, qui fasse image. La Statue de la Liberté c'est parfait ! Tout y est comme ramassé : le rêve américain, la modernité, la référence populaire au film, et... la liberté dont ici on voit à quoi elle est réduite, choisir entre un poste télé Brandt ou un Radiola couleur. Regardez comme la statue est posée sur un monticule. N'oublions pas que dans le film, cette statue de la Liberté est bourrée de Dollars volés par le Cerveau ! (ze brainne !)
Puis vient le parking nu et ses autos et enfin la surface commerciale plate dont la seule attention au paysage est sa couverture vaguement noire pour sans doute évoquer les toits traditionnels. Au fond encore existant, le paysage d'origine déjà bien remembré mais encore campagnard dans lequel Guy de Maupassant pourrait bien se promener.
Ailleurs et inconnu :
Cette carte postale du centre commercial Créteil Soleil (sic!) a des qualités étonnantes pour nous. d'abord bien évidemment l'objet urbain représenté avec ce centre commercial vu d'avion et qui s'inscrit dans l'incroyable paysage de la ville moderne de Créteil dans lequel nous allons reconnaître bien des architectures que nous aimons. Mais avant de poursuivre de ce côté-là, il faut retourner la carte postale qui apparaît alors comme une carte de promotion pour le centre commercial Créteil Soleil :
les soldes d'été ! On remarque que la carte n'avait au fond aucune vocation postale puisque le timbre est imprimé dans le ton de l'ensemble mais singe la carte postale de vacances et s'amuse de la pratique en faisant de la promotion un acte proche d'un lien social : la carte postale d'été.
Mais au-delà de l'objet promotionel, on remarque un centre commercial absolument incroyable pour ce qui est du traitement de sa couverture, de son toit qui sert de parking.
Là, sur cette étendue, des volumes géométriques forts sont peints avec une polychromie superbe formant un paysage vraiment surprenant. Je n'ai malheureusement aucune information sur ce projet, sur le peintre, sur le traitement de ce toit comme un jardin minéral. Mais l'attention est évidente, la recherche, même si elle reste formelle et décorative, fonctionne bien dans cet espace nouveau de Créteil. Il fabrique un nouvel ordre spatial, il ordonne une utilité qui pourrait (aurait pu) faire école : l'invention de nouvelles places urbaines. J'aime le détail de la très longue rampe qui fait monter les automobiles. Malheureusement le parking au pied du centre commercial reste un lieu vide dont seuls les automobiles forment une variation... trop pauvre. Pourquoi cet effort sur l'architecture ne gagne-t-il pas le sol ? Si quelqu'un pouvait nous dire quel peintre, quel artiste a réalisé ce travail sur le centre commercial Créteil Soleil, cela serait bien de lui rendre justice. Pierre Dufau semble sans trop d'erreur l'architecte de ce centre commercial mais il ne fait pas de doute qu'il a dû travailler avec un plasticien pour la réalisation des polychromies.
Et j'aime ce paysage. Regardons ce que nous connaissons déjà de Créteil :
la Pernoderie de Mr Willerval, architecte. |
les "choux" de Mr Grandval |
la préfecture par Mr Badani, architecte. |