Avec mon confrère Claude Vasconi, malheureusement disparu en décembre 2009, j'ai signé l'architecture du Forum des Halles et en particulier celle des grandes verrières emblématiques de cet équipement, qui dessinent en son centre une succession de places publiques et introduisent une inestimable lumière naturelle sur la grande majorité des circulations souterraines. J'ai pris connaissance par les documents que vous avez communiqués à l'association « Accomplir » du dossier de Permis de construire relatif aux travaux projetés sur le Forum des Halles actuellement en cours d'instruction.
J'en suis très sincèrement scandalisé.
Lorsque furent identifiés les problèmes d'accès et de sécurité du pôle d'échange RER et les dysfonctionnements affectant les équipements publics et certaines parties du jardin des Halles, vous avez lancé une étude de définition en rappelant avec réalisme en juin 2003 qu'il ne s'agissait pas de faire « table rase » mais au contraire de « plutôt corriger que détruire ».
La complexité des lieux et des enjeux ainsi que la notoriété (et l'ego) des équipes invitées auraient dû imposer de cadrer clairement le programme et les limites de l'étude pour obtenir des réponses utiles. Au lieu de cela, c'est un catalogue de visions irréalistes qui a été livré au public lors de l'exposition d'images en 2004.
Le battage médiatique qui a suivi vous a malheureusement conduit à oublier votre sagesse initiale. Ainsi, au lieu de prendre acte du caractère infructueux de cette consultation dont aucune contribution ne répondait aux problèmes posés, vous avez d'un même mouvement couronné un modeste vainqueur et annoncé une nouvelle consultation chargée de transformer l'impéritie esthétique de son projet en « grand geste architectural ».
Ayant enlevé à ce lauréat son pouvoir de conception vous lui avez maintenu un pouvoir de nuisance qu'il a utilisé pour verrouiller le cahier des charges du concours de 2007. Celui-ci a produit des réponses totalement affligeantes, à l'exception d'une bien élégante proposition de « Canopée » qui confrontée aux contraintes de la réalité sera à son tour conduite au naufrage.
L'analyse de l'état actuel du projet des Halles permet de noter les points suivants :
1 - LA RÉPONSE URBAINE: le projet frappé d'un inexplicable acharnement destructif, prend sur tous les points et contre toute raison le contre-pied des solutions de l'aménagement existant.
- Le jardin se retrouve organisé selon l'axe Est/Ouest, suivant un schéma issu de la fonctionnalité des halles de Baltard, mais qui n'est pas adapté à l'environnement ni aux modes d'usage de l'espace actuel. - Aucun point du jardin n'échappe aux délires conjoints de la dictature de l'axe et du terrorisme d'une trame polyédrique omniprésente : des centaines d'arbres, la place René Cassin, le dessin sensible de la Porte du Louvre, les verrières des jardins d'hiver etc.., tout doit disparaître. - La visibilité du chevet de Saint Eustache et la lecture du jardin depuis la fontaine des Innocents sont effacées pour faire place à un mur de boutiques alignées sous un chapeau ridicule. - Le Forum se retrouve écrasé sous un couvercle et coupé de toute lumière naturelle. - Le caractère « public » des places centrales et des circulations souterraines est nié au profit du caractère exclusivement mercantile.
2 - L'ORGANISATION FONCTIONNELLE : la nécessaire prise en compte des contraintes fonctionnelles, techniques ou réglementaires, invalide toutes les hypothèses qui servaient à légitimer le parti retenu en 2004 :
- Les nouvelles sorties de la gare RER repositionnées sous les escalators Berger et Rambuteau du Forum et hors de son emprise vers la place Marguerite de Navarre, n'interfèrent nullement avec les circulations du Forum et ne justifient donc par elles-mêmes aucune modification de celui-ci. - Les dispositions de liaison entre les espaces en sous-sol et le jardin existent aujourd'hui, mais ont été désaffectées pour des raisons de gestion. Elles pourraient facilement être rouvertes et sans doute améliorées sans pour autant remettre en cause la totalité du Forum. - Dans la même logique de l'absurde, l'escalator « direct » Lescot est supprimé sans raison, pour faire place à un nouvel escalator vers le jardin, qui tourne le dos à la direction que prennent dans leur grande majorité les usagers du RER. - Il est reproché aux équipements publics existant leur absence de visibilité et l'inadaptation de leur organisation. Une réhabilitation fût-elle lourde des volumes de superstructure peut donc s'avérer nécessaire. - Mais au lieu d'améliorer la situation, le projet de « Canopée » après avoir tout détruit, accentue la confidentialité des accès et asservit les futurs équipements publics aux contraintes d'un nouveau formalisme architectural parfaitement inadapté à leurs besoins.
3 - L'ARCHITECTURE DU FORUM : la destruction des verrières et la suppression de toute pénétration de lumière naturelle dénature sauvagement une œuvre exceptionnelle.
- Les rives de planchers du Forum autour du vide central sont déplacées pour satisfaire une axialité théorique et indécelable, ce qui nécessite des tours de force techniques aussi inutiles que dispendieux (voir par exemple les quatre énormes poutres-échelles sous le niveau 0) - De ce fait, les verrières existantes qui sont en parfait état, sont détruites. Elles sont remplacées par de médiocres murs-rideaux. - Toute arrivée de lumière zénithale sur les circulations souterraines est supprimée pour faire place à des terrasses qui n'ont d'autre utilité que d'effacer définitivement l'arrivée dans les étages inférieurs de la maigre luminosité naturelle qui aurait pu filtrer au travers du couvercle.
4- L'ARCHITECTURE DE LA CANOPÉE : l'image actuelle est totalement indigne du cœur de Paris.
- Le projet de « Canopée » retenu en 2007 pour sa légèreté et son élégance s'est progressivement alourdi et dénaturé au fur et à mesure que les contraintes du site imposaient leur réalité. - Le vide central, coupé à la fois des espaces du Forum et de l'air libre, se dessine comme un parfait entonnoir à courants d'air. - Les surfaces commerciales ont totalement envahi le rez-de-chaussée et toutes les transparences se sont évanouies. - La pureté initiale du volume extérieur laisse place à un empilement de bandeaux, d'ouvertures parasites et d'éléments structurels au dessin particulièrement mal maîtrisé. - Le raccord au sol de ce volume et sa lecture depuis l'espace urbain qui l'apparente à un marché couvert bas de gamme, est d'une insondable médiocrité. - La couverture de l'espace central, devenue compliquée, pesante et illisible, n'est plus que la caricature d'une idée morte.
- 5 - LA COMMUNICATION: la forfaiture de la représentation. - Les vues et perspectives du concours qui présentent une « Canopée » immatérielle en lévitation au- dessus du site ne correspondent absolument pas à la réalité décelable dans les plans. - Ce sont pourtant ces images mensongères qui continuent à être exposées au public. - Les photomontages plus réalistes du dossier de Permis de construire, mais qui restent confidentiels, annoncent malheureusement une catastrophe architecturale majeure.
L'œuvre d'architecture qui répond à un usage et à une fonctionnalité définis, peut difficilement prétendre à l'intangibilité dans la mesure où l'ouvrage nécessite souvent des adaptations dans le temps. Cependant, ces adaptations relèvent en général d'impératifs justifiés. Or dans le cas présent, les réponses proposées par le parti architectural retenu se sont trouvées contredites par la réalité technique, réglementaire ou organisationnelle et rendues inapplicables dans les faits. Le projet actuel n'a plus aucune légitimité, ni fonctionnelle, ni esthétique, ni économique.
Monsieur le Maire vous aviez souhaité un « grand geste architectural », mais le projet qui devait porter cette ambition a perdu la qualification d'Architecture. Il reste un geste, qui en l'occurrence n'est qu'une gifle portée à l'opération des Halles et qui ne procède plus aujourd'hui que du vandalisme architectural.
J'espère que cette lettre vous inclinera à réexaminer attentivement le projet en cours d'instruction et que vous saurez arrêter à temps ce qui se présente comme une erreur majeure d'aménagement urbain.
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