samedi 25 août 2012

Candilis du ciel

Revenons un peu à Port-Leucate avec deux images qui nous permettent d'admirer le jeu des courbes et des grilles de cette ville dont on doit l'essentiel à Georges Candilis.
Regardons par exemple cette carte postale Iris qui nous montre le centre commercial :



D'abord nous admirerons la ville en chantier et le dessin des bassins. On dirait une ville posée dans un désert. Mais au premier plan ne peut-on pas admirer le beau dessin de ce centre commercial recouvert de petites pyramides et qui sait s'articuler en placette à son extrémité ?





Ne devine-t-on pas que le principe constructif naît d'une grille et d'un module répété à l'envi ? On retrouve bien ce type de construction dans le livre de Georges Candilis, Recherches sur l'architecture des loisirs. On nous explique qu'un morceau fut construit pour en étudier les inconvénients et avantages et que ce morceau était la Capitainerie du port. Le livre nous donne aussi à voir une belle projection en axonométrie du système constructif bien dans les manières un peu pop de l'époque. La structure se voudrait une nappe continue et transformable à loisir selon les besoins. La mobilité structurelle étant bien là une donnée de ce moment de l'architecture. Qu'en reste-t-il ?



















Et voici encore Port-Leucate depuis le ciel :



Ce très beau dessin organique qui aménage des terrasses à n'en plus finir est celui du Kyklos. Nous avions déjà visé là ce très beau bâtiment dont il semblerait que le cabinet d'architectes Gardia-Zavagno en soit finalement le créateur.
En tout cas cette carte postale Théojac donne toute la mesure de ce désir méditerranéen de terrasses ouvertes ou plus secrètes dont il est parfois difficile de comprendre les articulations. C'est simplement très beau et cela contraste évidemment parfaitement avec la logique plus régulière et orthogonale de Monsieur Candilis. Regardez comme le dessin déborde le bâtiment, le quitte presque pour rejoindre celui des espaces publics. On admirera également la parfaite maîtrise de la photographie de J.-C. Meauxsoone qui avait également réalisé le cliché précédent.

Recherches sur l'architecture des loisirs
Georges Candilis
Karl Krämer Verlag éditeur
1972





jeudi 23 août 2012

Alphonse Allais souvent dans le noir

Petite suite pataphysicienne seulement pour dire que, dans les cas extrêmes, les cartes postales sont vraiment impénétrables...
Et aussi pour dire une fois de plus que les Incohérents et les héritiers d'Alphonse Allais sont bien parvenus jusqu'à nous et cela pas seulement par le biais désabusé mais cultivé des duchampiens. Les éditeurs de cartes postales ont pris le relais du paysage nominaliste, celui qui se définit quasi uniquement pas son titre et sa couleur unique : le paysage Primo-Avrilesque, invention du grand Alphonse Allais.
On retournera là si on aime ça... ou ici.
Allez... Fonce...
Faisons comme si de rien n'était !


















Cette carte postale des éditions La Cigogne-Hachette en Hcolor (je n'invente pas !) nous propose donc l'Alsace la nuit. C'est simplement à la hauteur de son folklore, puits, géraniums, et coiffes délirantes. Mais si ! Regardez bien au fond, on devine l'Alsacienne qui la tête plongée dans le puits ne voit que du noir. On notera tout de même que cette merveille éditoriale nomme l'artiste héraldiste R. Louis pour son blason. Au dos le correspondant dans un moment de clarté (sans doute pour échapper à la nuit) déclare : "Si c'est tout ce que tu as à nous montrer sur l'Alsace soit disant fleurie"
Lucidité je disais, lucidité !
Encore ?



















Il faut croire que cette tradition primo-avrilesque a traversé la Manche pour rejoindre nos amis anglais dont la connaissance en littérature française et en humour potache (mais sérieux) est une fois de plus prouvée. Cette très significative carte postale de l'état de Brighton de nuit nous est offerte par les éditions Leo Cards de Eastbourne. Ne cherchez pas il n'y a pas de jeu de mot dans ce nom d'éditeur... enfin je crois.
Là encore on notera l'excellence du commentaire de l'expéditeur dont l'écriture appuyée et malhabile vous donnera son âge. Je dirais 12 ans 3 mois et 2 jours en effet à cet âge précis le stade de développement de l'enfant lui permet à la fois de se fourrer les doigts dans le nez sans hésitation et d'écrire en même temps ce qui produit ce tremblement caractéristique de ce stade du développement de son écriture. Les fautes corrigées et entourées de crayon sont également une preuve de son attachement à une certaine tenue de l'orthographe ce qui disparaîtra dès l'âge de 13 ans ou d'autres attraits bien plus puissants viendront perturber à leur tour l'écriture d'un tremblement plus... enfin... bon. On se demandera ce qu'est une "noumère". Une nounou ? Une mère collective ? Une nonne maman ?
Je vous donne le verso de carte postale :

Enfin un cas exceptionnel puisque totalement assumé :




































Ce rectangle noir n'est pas un aplat monochrome qui revendiquerait la fin de la peinture figurative et décadente dans un registre abstrait empreint de Malévitch populaire, de Soulages trop étriqué. Il s'agit Mesdames, Messieurs d'un Paysage...
Il s'agit rien moins même que d'un événement rare et pourtant saisi ici dans sa pleine et entière territorialité : une panne de courant dans le tunnel du Mont Blanc.
Et là vous voyez poindre le chef-d'œuvre à la fois pictural et poétique. L'auteur dans le même geste met en relation la modernité du lieu (le tunnel), sa contempo contepora contempri contemporanéité (ouf !) avec l'évocation de l'électrification de la montagne mais cas encore plus rare l'auteur associe le noir de la panne et le blanc du Mont... Blanc !
Raccourci, poésie, maîtrise du jeu de mot, qui dit mieux que cette carte postale CAP en Mexicrome et Lumicap en couleurs naturelles ! Et là encore je n'invente rien !
Expédiée en 1971, le correspondant fait comme si de rien n'était, n'évoque pas son choix culotté à son destinataire ce qui démontre une fois de plus le naturel de la proposition presque son académisme de l'humour.
Peut-être que finalement en regardant pendant une heure d'un œil et de très près on finirait par voir quelque chose un peu comme chez Turrell où l'œil finit par se percevoir lui-même en laissant monter son fond.
Quand Alphonse Allais rejoint James Turrell, il est temps d'arrêter d'écrire...
Laissons la nuit tomber.


mercredi 22 août 2012

amusons-nous au marché de Royan

Vous savez ma sagacité à regarder des images de Royan. Devant mes cartes postales, parfois d'une manière un rien New Age je quitte mon corps et je pars dans le cadre de mes cartes postales. Si si je vous assure...
Et j'entends les Vespa trépidantes, les ronronnements des 403 Peugeot, j'entends les enfants réclamer la bouée canard et les mouettes venir chiper les restes des poissons tombés des bancs des marayeurs.
Ma vue est tellement aiguisée, tellement prompte à chercher un nouvel angle de vision des images usées par mes rêves que, parfois elles m'offrent l'opportunité de déceler ici ou là des anomalies, des différences.
Regardons ensemble ces deux cartes postales du marché de Royan. Regardons bien...




































D'abord les points communs : Le point de vue est évidemment le même, la Vespa à gauche sur le bord du trottoir, la DS et la Simca bien garées sur le petit parking, la camionnette pleine de cageots et les deux cageots posés sur le bord du remblais. On passera sur l'ensemble de la végétation absolument identique. Mais voyons maintenant les différences... je vous laisse chercher encore ? Allez... un petit peu...

































































A gauche une dame surgit avec son panier entre la Vespa et la Renault 4, une autre dame passe en Solex derrière la DS, l'animation autour des Barnums aussi est bien différente de l'une à l'autre des images. Cela nous permet de dire que, vu les types de changements, le temps écoulé doit être de quelques minutes et non quelques secondes. Donc... chargement d'une pellicule couleur dans l'appareil ?
Changement d'appareil ? Discussion animée avec un passant qui oblige le photographe à laisser filer l'animation... On ne sait pas !
On dira également que les deux éditions sont de Elcé (L. Chataigneau), pour la Noir et blanc de format plus petit, il est précisé qu'il s'agit d'une véritable photographie au bromure alors que celle en couleur est en Elcécolor bien sûr !
Mais la concurrence est rude entre les éditeurs ! Et les point de vue pas si nombreux que cela ! Alors...

















Etonnant non !
Voici une carte postale Cap dont soit le photographe a travaillé pour les deux éditeurs, soit le point de vue a su faire école ! Car si on en juge la végétation, ce photogaphe est bien le premier sur le spot ! A moins que Monsieur Chataigneau ait d'abord travaillé comme photographe pour Cap puis en indépendant ait repris ses marques !
On remarque tout de même certains points communs avec les images précédentes comme la camionnette qui se gare toujours au même endroit, les forains qui s'installent peu ou prou de la même manière.
Comme quoi, une fois de plus les cartes postales nous offrent l'occasion de raconter des histoires, de mener des enquêtes, de broder des fictions. Quant l'œil est amoureux il perçoit mieux. Nous avions déjà ensemble, si j'ose dire, vécu cette même expérience de micro-film ici ou ici ou encore là et donc là aussi.

lundi 20 août 2012

Reconstruction Déconstruction

Il y a des livres importants pour ce blog et pour la manière dont j'ai appris à aimer l'architecture, la ville et sa représentation, notamment ici par les cartes postales.
Du Guide d'architecture contemporaine en France de Monsieur Dominique Amouroux en passant par les Boring postcards de Martin Parr, la liste serait maintenant un peu longue de ces jalons qui ont formé petit à petit cette conscience débutante et toujours ouverte à mes images.
Si, on me demande où je suis allé cet été je dirais que je suis allé là :


























Reconstruction-Déconstruction de Bruno Vayssière est le plus beau, sérieux, intelligent livre sur le Hard French que j'ai pu lire.
Avec une méthode remarquable, il reconstitue notre particularité française d'un territoire parsemé de chemins de grue, de cités H. L. M et des typologies qui s'y rattachent. En s'appuyant sur le fond iconographique et historique du M.R.U, il réussit l'exploit d'en arpenter toutes les composantes et fonde l'impossibilité française de faire autre chose que cette typologie architecturale. Creusant dans les racines profondes des deux reconstructions (celle qui suivit la Première Guerre mondiale comprise), il interroge avec une pertinence fondée comment la mécanique esthétique, industrielle, graphique, sociologique et politique ne pouvait que produire du Hard French. Le chapitre sur le graphisme est particulièrement passionnant.
C'est vertigineux ! Devant de tels livres, on se sent bien minuscule à l'analyse de nos images.
De plus, c'est un beau livre qui éparpille généreusement dans ses pages des documents rares, des photographies de la reconstruction pendant les Trente Glorieuses. Et tout cela en gardant à la fois une position critique mais aussi sans dénigrer, rejeter cette période et même avec un certain optimisme pour regarder, aimer, découvrir cet héritage qui pourrait bien devenir du Patrimoine.
Un livre fondateur donc.










































































Je me dois de remercier Didier Mouchel pour ce prêt. Bien vite, j'ai fait l'acquisition de mon propre volume qui trônera maintenant avec mes autres briques de papier dans ma bibliothèque. Il y a fort à parier que de temps en temps j'y fasse à nouveau référence.
On peut tout aussi bien compléter cet ouvrage par Photographies à l'œuvre, enquêtes et chantiers 1945-1958 consacré au service photographique du M.R.U qui faisait des enquêtes sur l'état des lieux du logement après-guerre et qui servit de base et d'excuses selon Bruno Vayssière à l'implantation massive du Hard French.
On y trouve un très pertinent texte de Didier Mouchel sur la question de la photographie en tant que moyen de constat, d'œuvre presque autonome, voire même associée en partie aux courants photographiques de l'époque. On pourrait dire une école de la représentation urbaine. Là aussi la qualité éditoriale est au rendez-vous. Avec ces deux ouvrages se répondant l'un l'autre, vous ferez en quelque sorte une promenade très éclairée au milieu de nos tours et de nos barres, percevant à la fois leur révolution, leur particularité et l'étonnant mélange de spécificité et d'académisme.








Mais vous devez avoir envie de voir des cartes postales !
Allez ! On en regarde quelques-unes !
D'abord Bobigny et le groupe H.L.M du Pont de pierre par les éditions J. Godnef d'Aubervilliers, éditeur un peu rare dans nos cartons ! L'architecte serait Monsieur Stopskof que nous connaissons un peu sur ce blog : voir ici par exemple. On remarque un détail amusant sur ce cliché, les herbes folles sur la symétrie gauche de l'image et bien tondues sur la droite ! Avouez qu'il s'agit là d'une belle image !






Puis partons vers Reuil-Malmaison, vers les immeubles de la rue des Blanchettes par les éditions Abeille-Cartes cette fois. Le correspondant fait une belle croix au stylo bille bleu sur sa carte pour situer l'immeuble et non son appartement car il habite au rez-de-chaussée invisible sur l'image. On regardera surtout le détail des habitants, des enfants qui savent la présence du photographe et posent un peu loin toujours avec cette même distance respectueuse que l'on trouve tout le long des éditions de cartes postales. Il faudra écrire sur l'exactitude de cette distance : loi, respect, volonté de ne pas personnaliser l'image ?




















Partons en Province à Cenon en Gironde. Voici la Cité Palmer, les Quatre Tours réalisées par la SEG et les architectes G.P.A messieurs P. Dautrel et R. Tagini. Du moins c'est bien ce que nous précise la carte postale "la Cigogne". On notera l'implacabilité de l'alignement, le jeu graphique une fois de plus assuré par les stores de couleurs (je vous en prie que quelqu'un fasse une étude sur ce point essentiel de l'esthétisme des Trente Glorieuses !) On remarquera aussi un étrange balcon isolé qui surgit bien seul sur cette façade parfaitement lisse... étrange... Pour les pompiers ?





Un peu de local maintenant avec une vue panoramique de Sainte-Lucie-A à Grand-Quevilly. Une belle édition Leconte en couleur prise d'un peu haut et permettant de voir à perte de vue ce paysage de barres là aussi habillées par les stores de couleur : oranges puis bleus puis jaunes puis oranges... à l'infini...
Une belle DS Citroën file sur la chaussée, une certaine France, un certain paysage, une certaine idée de l'esthétique de cette époque.


Reconstruction-Déconstruction
Bruno Vayssière
éditions Picard
collection Villes & Sociétés
isbn 2-7084-0375-3
1988

Photographies à l'œuvre, enquêtes et chantiers de la reconstruction 1945-1958
Collectif
éditions du Jeu de Paume, Point du Jour
isbn 978-2-912132-70-3

dimanche 19 août 2012

concaténation

Où l'on découvre qu'un fil relie parfois les intuitions...
Le duo Nina O après un florilège de chansons populaires dans des langues étrangères se mit à chanter la seule chanson en français de leur tour de chant : "Paris Jadis"



Je reconnus immédiatement cette très belle chanson à l'air entraînant sans pourtant pouvoir lui attribuer un compositeur. Le duo Nina O me le donna : Jean-Roger Caussimon et Philippe Sarde.
Je partais du concert en sifflotant l'air, le gardant dans la tête comme une ritournelle prégnante. J'adore cette chanson qui, tout en jouant des codes de la chanson des rues réussit à en inventer une tout aussi captivante. Tous les codes de la chanson populaire sont là et cela fonctionne bien, l'écriture de Caussimon y est remarquable, touchante et bien référencée.
Mais là où l'on rejoint les intérêts de notre blog c'est que, alors que je cherchais les paroles de la chanson "Paris Jadis" je tombais sur le générique du film de Bertrand Tavernier " Des enfants gâtés" sur Youtube et en le visionnant je tombais de ma chaise... je vous laisse tomber de la vôtre...

Les vues de Nanterre et de Paris en construction sont passionnantes et très informatives ! Je voulais en savoir plus sur ce film... je me procurais donc le DVD (magie d'internet !)
Le film raconte une histoire qui, si elle n'évoque pas directement l'architecture, en parle d'une manière un rien biaisée. Un écrivain s'installe dans un immeuble pour pouvoir loin de sa vie de famille finir d'écrire tranquillement son scénario (miroir de Tavernier sans doute...) mais à peine installé sa tranquillité est bouleversée par un comité de défense des locataires qui tente d'obtenir gain de cause sur les abus du propriétaire... L'écrivain prend alors le parti du comité et tombe forcément amoureux de l'une des locataires... On a donc l'histoire d'amour, la politique autogérée, un cinéma qui se veut engagé. Tout cela est bien un film des années 70.
Nous nous contenterons de dire que cela est plaisant, bien joué et que la présence de Piccoli et de Christine Pascal (absolument lumineuse) font les plaisirs de ce film. Mais nous pouvons aussi parfois nous réjouir des lieux de tournage.
Il ne faudra pas manquer, si l'occasion vous en est donnée, de voir ou revoir ce film de Bertrand Tavernier car, au-delà de ce qui constitue notre centre d'intérêt, il y est question malheureusement d'une actualité encore bien trop présente : le droit au logement.
Et puis, si le duo Nina O passe près de chez vous, ne les manquez pas non plus ! Ils savent avec humour, justesse et simplicité réveiller le piano à bretelles.