jeudi 25 février 2010

Marcel Nouvel et Jean Duchamp

J'aurais pu intituler cet article les abus de l'œil.
Me rendant à l'expositionusu Pavillon de l'arsenal sur le Paris construit entre 1948 et 2009, je tombe devant l'un des modules du moucharabieh de l'Institut du Monde Arabe de Monsieur Nouvel.
Immédiatement, je dis bien immédiatement, mon cerveau m'envoie le Grand Verre de Marcel Duchamp, c'est abusé non ?
Surtout si l'on pense que, jamais au grand jamais, sur place (à Paris et à Philadelphie) je n'y ai pensé. Pourtant... voyons, tout ici m'oblige (eh oui je ne l'ai pas décidé consciemment ce collage) à ce rapprochement. D'abord la taille, l'échelle assez proche des deux objets même si celui de Monsieur Nouvel serait plus exactement une moitié de celui de Monsieur Duchamp. Ensuite la manière de l'installer dans l'espace, devant une fenêtre du lieu, là c'est égal pour les deux ! Puis le châssis-même renfermant l'objet qui permet de voir les deux côtés, les deux faces, jouant aussi d'une certaine manière sa disparition (il faudrait parler de la face de l'épaisseur du Grand Verre !)
Ensuite, la géométrie machiniste et oculiste des deux pièces, toutes deux évoquant un certain érotisme de l'oeil mécanisé, pistons, coulisses, iris s'ouvrant au gré pour l'un de la lumière pour l'autre du désir... et de certains gaz !
La machinerie célibataire, un rien vaine de l'un et de l'autre surtout ici chez Monsieur Nouvel puisque l'objet, en panne (c'est si duchampien !) ne fonctionne que dans l'idée. Alors que étrangement chez Monsieur Duchamp, la machine fonctionne par le langage sous-jacent.
La matière même de l'un et de l'autre, métallique et brillant et aussi un rien crasseux de poussière. Même les boulons défaits et tombés dans le châssis de la fenêtre de Monsieur Nouvel me ramène à la brisure du Grand Verre, sa panne que certain jubilerait bien vite à nommer sexuelle.
Mais là... oulà! C'est un peu fort !
Mais comment faire avec ce collage mental ? Dois-je m'en amuser, m'irriter de l'impossibilité de me dégager de cette obligation inconsciente ? Travailler à bannir ces collages ou poursuivre la rencontre sur une table de dissection d'un parapluie et d'une machine à coudre ?
J'espère que ni l'un (le mort) ni l'autre le très vivant Monsieur Nouvel, ne m'en voudront de ce méli-mélo de références mais je suis ainsi constitué, eh oui de l'un et de l'autre.

un grand verre...

pas encore brisé...

où les célibataires, uniformes en livrée...

ne sont que pistons et bielles...

lumière à tous les étages...

mercredi 24 février 2010

Athis-Mons détruit ?

Il semble qu'en France plus on vous reconnaît une valeur historique et patrimoniale, plus vous avez de chance (?) de voir les oeuvres concernées détruites.
A croire que les Labels et autres attributions permettent d'un coup un éclairage qui conduit fatalement à une envie soudaine de voir le construit passer sous les pelleteuses comme par exemple récemment la Cité des Poètes à Pierrefitte-sur-Seine.
Mais aujourd'hui je me fais le relais de menaces concernant le supermarché d'Athis-Mons construit par Claude Parent et une équipe d'architectes et d'ingénieurs sur la base du procédé de l'ingénieur suédois D. Jawerth.
On peut aujourd'hui voir dans l'exposition sur Monsieur Parent à Chaillot cette construction et son originalité constructive.
Il semble qu'une vigilance accrue permettrait d'espérer une protection mais une nouvelle fois cela se fait ou se fera dans l'urgence.
Ne serait-ce pas plus simple que par le fait du prince (loi Malraux), le Ministre de la Culture si fervent de l'oeuvre de Monsieur Parent lors de son discours inaugural, ne fasse un classement d'office des supermarchés de Monsieur Parent ? (Sens, Ris-Orangis par exemple)
Vais-je devoir faire ici aussi une demande officielle de classement comme pour Sens dont d'ailleurs nous attendons avec patience le résultat ?
Si donc, quelqu'un a cette énergie et veut l'additionner à la mienne, battons-nous encore pour Athis-Mons et les autres centres commerciaux.


lundi 22 février 2010

Une incroyable carte postale

Lorsque j'avais lu le très bon ouvrage les années ZUP, architecture de la croissance chez Picard éditeur mon oeil avait parfaitement gravé une image.
On y voit le prototype de Gérard Grandval pour des maisons des jeunes.
Puis dans mes fouilles de boites à chaussures mon sang ne fait qu'un tour quand je trouve ça :

édition de l'Europe en couleurs naturelles, pas de date.


Je le répète parfois bien plus que le bâtiment, c'est ma capacité mémorielle d'images qui m'étonne car immédiatement, la carte postale, à la main, j'ai reconnu la page du livre. Je savais exactement si l'image était en couleur ou en noir et blanc, sa position dans la page et bien sûr le titre du livre. Cela m'étonne toujours autant.
Mais ce qui est encore plus merveilleux c'est que ce livre nous donne la référence du numéro d'Architecture d'Aujourd'hui et il me suffit de descendre au sous-sol, de chercher l'année en question et de trouver l'article. (A.A avril-mai 1967, N° 131)
On y trouve aussi une vue prise de l'intérieur avec ce magnifique ensemble autour d'une cheminée.

la même image reprise par Les Années ZUP.



Tout de même c'est incroyable qu'une construction aussi modeste ait réussi le tour de force de me faire faire ainsi un grand tour et surtout d'être photographiée en carte postale. Car combien de ces chalets pop et superbes ont eu le droit ainsi de l'être et d'être également construits ?
D'ailleurs c'est l'occasion de voir combien finalement ils s'intègrent parfaitement avec leur environnement de chalets traditionnels et comment la neige leur réussit parfaitement. Ils sont vraiment beaux vos chalets Monsieur Grandval. On voit que celui de Arette est plus court que celui de A.A, s'agit-il du même chalet raccourci ou d'un autre exemplaire ?
La carte postale ne cite pas l'architecte et nous dit que nous sommes à Arette, la Pierre-Saint-Martin devant les chalets et l'école de ski. Je crois que l'école c'est bien les deux bâtiments de Monsieur Grandval.
On connaît surtout Monsieur Grandval pour ces "choux" et la seule carte postale que je possède de cet ensemble est celle réalisée par Nogovoyage.
La voici :
Au dos on trouve un petit plan de situation, Créteil et entre guillemets les choux, trois des quarante-deux tours de la ville nouvelle de Créteil. Mais pas le nom de l'architecte.
On peut encore je crois télécharger Métropolitains sur France Culture et entendre l'architecte en entrevue avec Monsieur Chaslin.

vendredi 19 février 2010

un siècle passe... sur Charenton-le-Pont

Si comme moi vous aimez les constats un peu secs, si comme moi vous aimez mesurer l'écart temporel et écarquiller les yeux devant les différences et similitudes entre deux images, alors sans nul doute vous aimerez cet ouvrage.
Partant de cartes postales, les auteurs vont sur les lieux mêmes et rephotographient le point de vue en de successives éditions d'ouvrages.
Je viens d'acheter la troisième et certainement dernière mouture :



Mais il faut le dire tout net, je ne suis pas les auteurs sur le terrain de l'opposition entre les modernes et les anciens, sur la culpabilité permanente associée aux architectes.
Car finalement l'aménagement urbain leur doit autant qu'aux politiques et aux habitants qui parfois cèdent au crépi facile et à l'agrandissement sans demande préalable légale à des architectes.
Mais je m'arrête là sur ce terrain qui n'a de toute manière aucune raison d'être car les choses sont ainsi.
Le constat est là, âpre, dur et souvent en faveur du passé. C'est le drame de cette poésie qui met dans une glycine courant sur le mur d'un bistrot une puissance que ne peut semble-t-il pas combattre la courbe aussi parfaite soit-elle d'une barre bien dessinée.
Alors jouons seulement avec notre stupeur et laissons la nostalgie glisser d'une génération à l'autre. Car la nostalgie a cela de dramatique et de pervers qu'elle s'invente aussi sur des moments que l'on n'a pas vécu. Et quand je vois un enfant de cinq ou six ans sur une carte postale des années 1900, je ne peux m'empêcher de penser qu'il est mort dans une tranchée de Verdun parce que le monde que lui a préparé celui qui a planté la glycine fut celui d'une vengeance. Jouer aux billes dans les creux des pavés de la banlieue n'est pas le signe d'un paradis perdu mais seulement un 60eme de seconde de paix suspendu à jamais entre la paire de claques du parent alcoolique ou l'autorité abusive d'un maître républicain. Qui sait ?
Je construis tout autant que vous. C'est le pouvoir troublant des images, libres qu'elles sont de nous conduire là où nous croyons être de bons interprètes. Chacun traduit.
Alors je décide d'aller voir sur place puisque le livre nous donne l'exemple d'une rue de Charenton-le-Pont, l'avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny.




Je retrouve bien le point de vue mais mon oeil est tout de suite attiré comme sur les images du livre par le cinéma à gauche.





Petite construction des années trente, il mérite à lui seul de venir là. Il semble qu'il soit en transformation mais pas menacé. Je trouve sur la façade le nom de son architecte : L. Thomas.
Alors... comme quoi il est possible aussi de se réjouir encore de notre paysage. Et certainement que ce joli morceau avait en son temps comblé un jardin ! (?)
Le nez en l'air je reprends mon chemin à la recherche des noms des architectes sur les constructions pour compléter ma collection. Cela m'oblige à regarder. La variété est grande mais quelques noms reviennent souvent, certainement des architectes, soit de la ville-même, soit en cheville avec des entrepreneurs qui n'oublient pas eux aussi parfois, sans honte, de graver leurs noms sur des façades euh... bon... bref.
Voici quelques exemples :













Sur le chemin, je trouve un tourniquet avec quelques cartes postales qui s'arrondissent sous le soleil et le froid. Le vendeur me dit : "Vous avez pris toutes les vieilles !"
Je tente au moins pour l'une d'elles d'aller voir si tout est en place et cela donne ça :


La carte postale est une édition Lyna et représente la rue Anatole France, marché, Patinoire et Piscine. Sans les noms des architectes et je n'ai pas trouvé de plaque !

Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, je finirai par la fête foraine.
La ville est ainsi faite de laideur, de beauté que chacun choisit à regret ou avec contentement. Mais toujours ce qui me la rend palpitante c'est les oppositions et les ruptures. Ce sont bien les collages et les écarts dans leurs impossibles retrouvailles parfois qui me font jubiler. Et je préfère toujours cela à l'ennui parfait d'un petit monde connu et confortable, que ce confort d'ailleurs soit nostalgique ou comme la chanter la publicité ménagère un "confort moderne".


deux cartes postales CIM,bois de Vincennes, foire du trône, en hélio.

un siècle passe ...
46 photos constats par Alain Blondel et Laurent Sully Jaulmes
Dominique Carré éditeur. 3e édition 2007
un beau livre bien imprimé et mise en page superbe.


jeudi 18 février 2010

minéralité

C'est souvent cela qui est détesté :


Des barres placées à l'orthogonale de tours qui n'en finissent pas d'être, du bas vers le haut, identiques.
Et même si la vue donne sur une flaque de vaguelettes faite de toits agencés en centre commercial il semble difficile de ce dire que cette minéralité étendue et construite est vivante.
Peut-être que justement, de par un cadre de vie resserré sur lui-même, dans des appartements parfaitement conçus mais étanches les uns des autres, on croit toujours que personne n'y habite.
Et la réticence que procure ce genre de lieu (et ici d'image !) pourrait naître donc de l'absence visible de résidents et de leur appropriation du quartier.
L'inverse totalement opposé à ce genre de lieu pourrait être l'habitat de Monsieur Hulot qui totalement bordélique d'un point de vue constructif s'apparente pourtant à une machine joyeuse car il oblige ses habitants à des croisements et des arrangements d'espace permanents. Ne pas trop vite, s'il vous plaît en déduire quoi que ce soit sur Tati et l'architecture moderne.
Ici la surprise disparaît au profit d'une égalité (sans jeu de mot) de façade. Et de cette égalité répétée à l'envie en formant une grille superbe non-appropriable naît l' implacable.
Mais j'avoue j'aime ça.
En fait j'aime mieux ça que la poésie minable d'une jardinière de géranium. Étrangement je m'interroge sur le niveau d'appartements qui n'a dans sa visée de balcon que les toits pagodes à regarder.



Cela doit être bien étrange comme point de vue.
La carte postale Guy nous donne le nom de l'architecte Michel Holley et nous signale au fond l'université de Paris 1, centre Tolbiac mais là sans nous dire que Messieurs Andrault et Parat en sont les architectes.
Pourtant, sans nul doute il s'agit d'un chef-d'oeuvre bien dégradé aujourd'hui.



mercredi 17 février 2010

ici et maintenant



Je trouve une carte postale représentant mon quartier vu d'avion.
Ce genre de vues sur des quartiers aussi récents est assez rare.
Nous sommes à Charenton-le-Pont.
L'image nous donne une date, 1996 et nomme le quartier Valmy.
Ce qui est aussi assez rare ici c'est de pouvoir vous montrer à la fois donc cette vue d'avion et vous montrer ce que je vois depuis ma fenêtre.
J'apprends par exemple qu'il y a des jardins cachés que je ne pouvais voir depuis mon regard de piéton.
Ma fenêtre est ici :



Et voici ce que je vois :



le bâtiment gris à droite est de Monsieur Willerval.

L'ensemble néo-classique et post-moderne se veut grandiose, un rien éternel et incroyablement toc. Mais il offre des espaces silencieux et calmes, de vraies places publiques ouvertes et c'est déjà ça. Et puis tout est là en bas sous la coupole qui agit vraiment parfois comme une placette. Hier le babyfoot du bar avait étrangement migré au milieu du passage comme sur une terrasse.
Là, aussi il faut se taper le sas fumeur des personnels des bureaux qui viennent devant les portes et à l'abri en griller une petite.
Il suffit de descendre pour lire le nom des architectes. Le bâtiment central est donc de Jean Willerval. Et l'ensemble immobilier autour est de messieurs Chevenot et Rouviere.
Tous signent leur construction ce qui est bon signe. Vous ai-je dit que je faisais aussi collection des signatures d'architectes sur leurs bâtiments ?




Etrange mélange et collage.
Je n'ai pas grand chose à raconter de ce genre d'architecture qui, au plus m'indiffère. Tout cela sent le tertiaire, l'investissement, le pastiche. Les formes simples jouent les grandes dames à grand coups de compas, couvertes de verre réflechissant et de parement de granit qui doit apporter sa touche de sérieux et de qualité ou encore de zinc et d'ardoises pour les logements pour évoquer le Paris éternel.
Mais j'y dors tranquille.
Voyez la même vue depuis Google Earth, saisissant :



mardi 16 février 2010

Claude Parent expose aussi là

Une nouvelle fois, un but et une dérive.
le but était d'aller voir les dessins de Claude Parent à la Galerie Natalie Seroussi rue de Seine.
Ce but fut facilement atteint.
De grands signes noirs à la fois expressifs et maîtrisés voire réglés alimentent la surface blanche du papier en ombres, sols et espaces.
Parfois on se perd suivant une courbe tendue, parfois une silhouette minuscule vous ramène à l'échelle : gigantesque.
Car il ne s'agit pas là de délires graphiques gratuits dont seule la beauté équilibrée pourrait suffire mais bien de projets d'architecte, de constructions. Et on chemine ici suivant un chemin inattendu mais jouissif, comme on le fait parfois d'une colline à une autre en croyant que le chemin le plus court c'est l'oeil qui nous l'indique.
Et la bâtisse immense comme un plan, visible à la fois en coupe et à vol d'avion, arrive même à se parer des épaisseurs et des jus d'encre noire parfois transparente nous disant, si on est attentif, le cheminement sans reprise d'un pinceau sûr de lui car conduit pour bâtir un rêve. Et c'est sérieux, c'est solide.
Ça tient le mur de la galerie. Les entrelacs jadis de l'oblique ici s'accordent en boucle et ville bouclier dans des offensives parfois plus fortes que les défensives. Des plis et des dégringolades, des grottes profondes et des promontoires s'ordonnent sous une main franche pour nous éveiller.
Il ne faut pas avoir peur, ces villes qui se défendent n'ont rien à craindre pour le moment. Il faut espérer que cette prémonition défensive de l'architecte ne soit encore qu'un songe car si, un jour nous avons besoin d'un plan, nous pourrions bien y voir là une fois encore l'acuité formidable de Claude Parent.
Une dérive maintenant :
Je n'ai photographié de mémoire que la tour Montparnasse somptueuse à contre-jour, que des éclats rectilignes de soleil dans les vitrines et les sas fumeur des étudiants sur les trottoirs ordonnant la marche d'haleines fétides de tabac froid.
Et puis la ville, la foule des touristes finalement joyeux devant Notre-Dame. Foules amoureuses que je traverse. Je suis si proches d'eux, à la fois toujours étonné de Paris et ravi de pouvoir encore m'y perdre.
Incroyable sensation tout à l'heure de me retrouver par hasard à un carrefour vu hier et enfin me dire : "je sais où je suis."
Si j'avais eu une carte postale, j'y aurais dessiné une croix.