Trop souvent il est le porte-parole d'une timidité voire d'un effacement de l'architecture, le rêve finalement bien plus de sa disparition.
La ville est un collage. C'est comme cela que je la parcoure, à droite un garage des années trente, à gauche une chapelle gothique, en face une piscine tournesol et je laisse derrière moi la tour verre et métal.
Je peux même marcher sous les pans de bois s'ils ont la promesse parfois d'un trou de bombardement comblé par Marcel Lods.
J'aime la ville en découpage de zones où parfois, sous la légère inclinaison d'un trottoir, on change d'époque, de plan.
Mais je suis aussi très paradoxalement attiré par les lieux vides, minéraux, froids et monstrueux où la géométrie des volumes durs ne laisse que le jeu des ombres comme dessin et jubilation.
Alors...
Toujours lorsque une image, un lieu me donne le plaisir de rencontrer ce collage je sais que trouverai là matière à rêver la ville.
Voici deux cartes postales qui me donnent cette occasion, deux lieux dont un fut parcouru, l'autre encore imaginé.
Berlin :
Voilà bien ce que la France aurait bien eu du mal à faire aujourd'hui. Acceptons ce fait, ne pas reconstruire, ne pas pasticher le passé pour ne pas en gâcher le souvenir.
Le regret d'un lieu disparu est toujours plus beau que sa reconstitution, son imitation. J'aimerais retrouver le texte de Raymond Queneau sur son Havre disparu. C'est exactement ça. Oui il faut pleurer parfois sa ville détruite mais rien ne sert de la réanimer car rien ne peut à l'exactitude des traces et des poussières la relever.
Alors il faut inventer.
Ici, ce que l'Allemagne a su faire à Berlin est une leçon. Cette opposition radicale entre les deux constructions, cette greffe impartiale permet de voir l'un et l'autre, moderne et ancien. Et la ruine est sublimée, dégagée. Elle semble être en perpétuel effondrement contre la netteté du nouveau bâti. Comme une blessure ouverte sur un corps sain, elle accuse la brutalité de la guerre.
Emouvant. Puissant.
Regardez bien cette maquette un rien fragile mais qui dit déjà comment l'architecte a respecté le fragment. Aucune tentative de camouflage, de remplacement, même les circulations restent différenciées et le plan de l'ancienne église est pulvérisé. Il y a pourtant bien une distance, une modestie du moderne. Il offre une surface lisse et nette et totalement fermée comme une énorme puce électronique réanimant le lieu.
Beauté.
Nous devons cette merveille à Monsieur Eiermann, architecte. Il s'agit de la Wilhem Gedächtniskirche. La carte postale est une édition Kunst und Bild.
France :
Nous sommes à Montpellier. La carte postale nous indique que nous voyons la tour Babotte et le marché-parking.
J'aime tout dans cette carte postale : le lieu, son cadrage.
Le photographe de La Cigogne éditeur a su assumer pleinement le rapprochement entre les trois objets architecturaux visibles dans sa ville. Le toit double pente couvert de tuiles romanes, la tour en pierre de taille aux volumes fermés et brutaux et la sensualité (oui) tendue du parking.
Tout se tend.
Tout travaille l'un contre l'autre, l'un avec l'autre. Car si on admet les formes et moins les fonctions, il semble que l'ensemble soit parfaitement en accord !
La dureté est bien plus grande pour la tour que pour le parking qui lui-même est plus fermé et donc plus neutre que cette dernière.
La tour domine, écrase tout autour.
Et le parking dit le secret de ses entrailles, un estomac plein de bagnoles à cacher et recracher. Il dit aussi parfaitement comment il fonctionne, ce qu'il est. Il ne joue pas à faire semblant d'être là depuis 100 ans et finalement cela le conduit à une économie visuelle qui le rapproche de l'utilité défensive.
C'est cela une ville.
Dureté assumée de l'histoire, espaces différenciés aux frontières entremêlées parfois et de temps en temps voir son époque monter à la surface de nos villes dans de belles expressions d'architectes, nos contemporains. (parfois...)
Et la ville c'est surtout un tas incroyable de banalités, de petites mochetés, d'arrangements de rien de temps en temps relevés par une chose importante qui vient sur ce fond nous faire jubiler.
Ici c'est ce beau parking de Monsieur P. Laffite architecte. Oui beau encore aujourd'hui.
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