mercredi 6 octobre 2010

Royan, toi


Nous aurions garé la 4cv sur la place devant le portique. Nous aurions un peu regretté que cette place soit encore en terre battue mais finalement aurions trouvé bien pratique de nous garer ainsi en centre ville.
Nous aurions immédiatement entendu la mer sous le portique que nous aurions emprunté pour vivre l'horizon dégagé.
Le ciel est gris pourtant.


Tu aurais voulu acheter une carte postale et aussi un ballon de plage pour ton filleul. Nous aurions sous le portique visé la boutique Fantasio.


Pendant que tu faisais ton choix dans la boutique, assis sur un siège de rotin j'aurais commandé deux Vittel Délice Orange bien glacés.
Admirant la courbe moderne du front de mer, j'aurais su immédiatement que j'étais heureux ici.
Le rouge des peintures, leur acidité, ferait rêver à un avenir radieux.
Tu serais revenu avec ce même rouge sur un ballon de plastique pris dans un filet. Gros comme une pastèque j'aurais ri à notre difficulté de faire le voyage de retour avec cet étrange fruit des plages dans le petit coffre de la 4cV.
Tu aurais posé ta pile de cartes postales sur la table en rouspétant contre les quelques gouttes renversées sur le formica, demandé et obtenu un papier absorbant au serveur affable et tu te serais mis à écrire une à une et méticuleusement tes cartes postales.
Mordillant le capuchon de la pointe Bic, tu aurais cherché l'inspiration pour finalement écrire toujours la même chose : le ciel, la mer, la plage, la joie.


J'aurais admiré le dernier modèle de chez Simca en y préférant tout de même la Renault Frégate. Assise en face de moi dans un de ses sièges modernes, une jeune femme lirait son Marie-Claire avec le mannequin Bettina en couverture, chapeau de paille conique, revers de chemisier-blouse retroussés sur un cou parfait, œil de chat à l'envi.
Tu aurais fini par terminer ta corvée d'écriture, j'aurais paraphé quelques cartes postales et nous aurions repris notre chemin vers la poste.


Le Vespa aurait fait un bruit pétaradant qui m'aurait fait sursauter et me rapprocher de toi.
Tu aurais dit : "et le cinéma... ce soir ?
J'aurais dit : "non"
Sans vraiment savoir pourquoi, certainement que l'idée d'une salle noire en plein après-midi chaud ne me réjouissait pas.
Je serais passé devant, perdu que tu serais devant les photos du cinéma, réalisant que, finalement toi non plus tu n'avais pas cette envie.
Nous irions plus sûrement regarder le jour tomber simplement sur la mer et sentir la fraîcheur venir du fond de l'estuaire.


J'aurais regardé les mains des adultes tenir les mains des enfants avant de traverser la rue. J'aurais certainement jalousé ce geste impossible.
Mais j'aurais aussi souri à leur costume de petits adultes bien polis et au chapeau de scout hors d'âge du monsieur.
Qu'importe, c'est l'été, c'est débraillé et chic en même temps.
Tu aurais bifurqué d'un coup vers ta gauche en suivant la courbe du toit de la poste, suivant exactement le cheminement de Monsieur Ursault son architecte.
Les cartes postales jetées d'un coup dans la boîte "autres départements", tu serais venu me rejoindre.
Un petit vent venait de se lever apportant parfois l'odeur de plâtre et de ciment frais d'une ville encore en construction.
Il fallait aussi penser à acheter quelques films Kodak pour ton Foca Sport.
Demain, nous avions décidé de pousser jusqu'à Talmont. Il paraît que les ruelles sont remplies de roses trémières à cette saison. C'est ce que nous avait dit hier soir la patronne de l'auberge de Saint-Palais.
En remontant le boulevard, je savais que nous avions encore peu de jours à partager. Qu'il fallait que chacun d'eux soit comme une promenade tranquille sans enjeu, sans risque, sans obligation.
Quelque chose qui coule comme du sable dans le creux des doigts, chaud et impossible à retenir.