lundi 19 juillet 2010

arlequin 4



Il s'était figé immédiatement, là, à une dizaine de mètres devant la gare de Clamart.
Il avait reconnu au loin la Renault 5 orange des parents de Béatrice.
En fait ils l'attendaient. Le père en gilet noir et la mère dans sa robe bleue italienne.
La veille, la séparation avec Béatrice fut un peu dure c'est certain mais il ne pensait pas possible que celle-ci fît appel à ses parents.
Non, Béatrice était indépendante et n'avait pu demander l'intervention de sa famille dans leur histoire.
Il en était certain, elle n'était pour rien dans la présence de ceux-ci, ici, exactement à l'heure de son train.
Il avait fait d'ailleurs l'erreur de leur indiquer pendant le repas cet horaire de départ, mais à ce moment-là rien ne laissait présager de la suite funeste de cette réunion de famille.
Il se rappelait qu'il y avait encore à peine deux mois, lui et Béatrice avaient passé un bel été à Nice.


Ils avaient pris une chambre à l'Hôtel Continental Masséna sur les conseils d'ailleurs des parents de la jeune femme car une étrange relation amicale avec son père et le directeur de l'établissement leur garantissait un confort et un prix parfaits pour ce genre d'escapade.
L'établissement un rien pépère pour un jeune couple lui permettait tout de même chaque matin de voir Béatrice au lit avec son petit déjeuner et cela suffisait pour le réjouir comme un court travelling amoureux.


Le séjour fut romantique, simple et même un peu attendu. Mais ils étaient heureux, réalisant là enfin une sorte de moment idéal comme on en lit dans les romans à l'eau de rose.
Il fallut pourtant rentrer et sur le chemin du retour passer voir sa famille originaire de la Sarthe.


C'est là, au carrefour de la R.N 23 à Connerré, l'air de rien, qu'il lui demandait enfin s'ils ne pourraient pas envisager de prendre un appartement ensemble. Elle n'avait pas immédiatement répondu car l'autoradio de la Renault 18 réglé un peu fort avait mangé en quelque sorte sa demande. C'était en tout cas ce qu'il avait cru comprendre dans ce retard de réponse. Maintenant il était persuadé qu'Axel Bauer n'avait pas couvert ses paroles mais qu'elle avait bel et bien pris le temps de répondre.
C'était l'expression première d'un doute.
Pourtant dix minutes avant elle ne laissait rien transparaître à cette famille chaleureuse d'agriculteurs, jouant parfaitement le jeu de la jeune et jolie conquête du fils parti en région parisienne.
Elle s'était intéressée à la vie de l'exploitation agricole, ri des chèvres capricieuses et même participé à la confection de la tourte aux champignons avec sa future belle-mère.
Mais quelque temps plus tard, il avait à nouveau formulé cette demande de vie commune. Il l'avait formulée d'ailleurs comme s'il avait entendu oui à la première demande, parlant tout de suite de la ville d'installation, du choix de l'appartement, du coût du loyer.


Mais dans cette salle de détente au foyer d'accueil des malades de l'hôpital Poincaré de Garches où elle travaillait comme jeune infirmière, là aussi elle avait été un peu vague, répondant mollement, lui laissant toujours le choix avec cette réplique fermant toute discussion :
"Tu fais comme tu veux."
Alors, n'y tenant plus, oui, hier soir il lui avait demandé très clairement ce qu'elle désirait vraiment.
Encore une fois il n'avait d'abord obtenu que ce mélange de mots à peine prononcés et de souffles ennuyés.
Il avait saisi son bras un peu fermement, lui avait dit une nouvelle fois son attachement, l'importance possible de leur histoire.
Elle n'avait su que pleurer.
Le bruit de leur dispute était sans doute parvenu jusqu'au salon parental, le claquement brutal de la porte derrière lui avait achevé de dire la violence de la scène.
Et ce matin, devant la gare de Clamart les parents de Béatrice étaient là.
Mais Béatrice était absente.
Que voulaient ses parents ?
Un mot d'excuse, une explication, formuler un regret ?
Il ne savait pas et ne voulut rien savoir.
Sans courage, il fit demi-tour.