mardi 16 juin 2009

paysage


Certains inventent le paysage, ne s'y intègrent pas, ne s'y perdent dans un mélange mélodramatique de respect pépère et d'écologie de bazar. Certains construisent avant tout pour la confrontation, seul rapport direct possible du corps avec ce qu'il construit. Tout contre.
Certains fabriquent les horizons comme des aztèques. Certains mettent du poids sur la terre pour que l'œil voie les formes justes sous la lumière.
En même temps l'hommage aux forces tellurique est rendu. En même temps comment mieux dire la falaise que par une autre falaise ? Comment mieux signifier le lieu ?
Regardez au fond comme la ville est brouillard, nuée, invisible. Regardez le ridicule des toits aux tuiles romanes d'avant-hier ? Regardez comme c'est vieux avant d'être ?
Regardez.
Je préfère le rocher abrupt, je préfère que ça coupe l'œil. Que ça surgisse indiscutablement construit. La revendication de notre présence, sans égard, certes mais avec la jouissance de notre puissance. Oui.
Notre puissance qui rend un hommage misérable à la vrai nature celle des failles dans les roches millénaires, celle des gravats de montagne, celle des déluges.
Chambre d'amour c'est son nom. Chambre d'amour.
Les vagues s'y brisent, viendront un jour nettoyer le bleu trop dur des piscines. Ça claquera, ravinera. Vous verrez l'eau monter au pied du contrefort. Même pas peur. Et c'est bien sur ce promontoire artificiel que le spectacle démiurgique sera le plus beau.
Il s'agit d'une carte postale aux éditions Lavielle expédiée en 1985.
Nous sommes à Anglet, Chambre d'Amour construit pour le village Vacances Famille.
Une icône déjà évoquée ici par exemple le 1er octobre 2007.

la permanence du point de vue, l'importance du premier plan

Je ne sais pas pourquoi mais les photographes de cartes postales aiment bien revenir sur le lieu de leur crime.
Après plusieurs années, ils réactualisent leurs clichés en posant le pied photo au même endroit qu'il y a quelques années. D'ailleurs je ne sais rien de cette fréquence sauf qu'elle permet de mesurer le temps passé.
Nous avons déjà vu ça sur ce blog . Parfois quelques minutes entre deux images, deux cartes postales, parfois plusieurs années.
L'autre chose c'est que dans cette permanence, s'ajoute le choix du premier plan qui tente de situer, décorer, agrémenter l'objet même de la carte postale. Ce choix est quasiment toujours fait de verdure ou de fleur. C'est la joie de vivre, la nature, la couleur qui s'invitent entre l'architecture et le spectateur comme si, sans cet agrément, elle n'était pas regardable.
Avec les deux cartes postales qui suivent nous en avons un bon exemple :


Nous sommes à Saint Georges de Didonne près de Royan devant le casino. La première une édition C.A.P en réal-photo fut expédiée en 1964. La deuxième pour Théojac en mexichrome fut expédiée en 1966, donc deux ans  d'écart. C'est peu. On remarque la similitude évidente de point de vue. Le goût de la jardinière. D'ailleurs je ne peux m'empêcher de rapprocher formellement les jardinières de l'architecture de Monsieur Delhomme dont le nom n'apparaît que sur la première carte postale. Un long parallélépipède blanc posé sur le sol. Admirons aussi les parasols qui ont changé de couleur.
Pourquoi diable se mettre là ? Pourquoi ne pas nous montrer autre chose de ce casino ?
Le premier cliché nous permet de mieux saisir l'architecture ma foi fort simple et élégante, bien ouverte sur ce que le contrechamp nous laisse deviner : la mer. Il me faudra, à ma prochaine visite à Royan, voir si moi aussi, devant ce casino, je choisis pour le photographier de me mettre devant les jardinières...

Comment un photographe peut nous dire la vie portuaire sans nous montrer de bateau ? Comment faire avec de l'architecture tout juste sortie de terre (sable) pour évoquer l'intemporel de l'activité des marins alors que l'architecture même se veut extrêmement contemporaine ? 
Il suffit de cadrer un peu en dessous et de se placer devant le joyeux bazar des marins, filets de pêche, ancre et caisses pour nous mettre immédiatement dans l'ambiance maritime de vacances.
Il est vrai que si vous ne le faites pas, vous pourriez bien être n'importe où devant un centre commercial ou une station service. Pourtant, ici à Port Leucate, Monsieur Candilis l'architecte a bien travaillé et il serait possible par une belle photographie et donc une belle carte postale d'aimer nous dire la modernité et l'audace de son architecture. Mais non. N'oublions pas que le domaine de la carte postale est souvent le pittoresque, ce que le dictionnaire Larousse définit comme ce qui est digne d'être peint. Aujourd'hui la peinture a fait son lit de ce genre de pittoresque tout comme la photographie. Il faudra trouver d'ailleurs à ce média un terme correspondant. Mais aujourd'hui tout est photographié surtout ce qui ne mérite pas de l'être, comme un retournement du pittoresque que la photographie plasticienne aurait pris à son compte. Zone vague, architecture vide, absence de population et frontalité, tout nous dit que nous n'aurions pas dû faire le cliché (c'est le terme) mais que justement nous le faisons. Faire de l'ennui de la situation le bonheur de l'image. Mais les photographes de cartes postales sont passés avant vous et c'est ce que nous dit je crois Martin Parr.
Cette carte postale de Port Leucate est une édition PAP non datée.