vendredi 19 février 2010

un siècle passe... sur Charenton-le-Pont

Si comme moi vous aimez les constats un peu secs, si comme moi vous aimez mesurer l'écart temporel et écarquiller les yeux devant les différences et similitudes entre deux images, alors sans nul doute vous aimerez cet ouvrage.
Partant de cartes postales, les auteurs vont sur les lieux mêmes et rephotographient le point de vue en de successives éditions d'ouvrages.
Je viens d'acheter la troisième et certainement dernière mouture :



Mais il faut le dire tout net, je ne suis pas les auteurs sur le terrain de l'opposition entre les modernes et les anciens, sur la culpabilité permanente associée aux architectes.
Car finalement l'aménagement urbain leur doit autant qu'aux politiques et aux habitants qui parfois cèdent au crépi facile et à l'agrandissement sans demande préalable légale à des architectes.
Mais je m'arrête là sur ce terrain qui n'a de toute manière aucune raison d'être car les choses sont ainsi.
Le constat est là, âpre, dur et souvent en faveur du passé. C'est le drame de cette poésie qui met dans une glycine courant sur le mur d'un bistrot une puissance que ne peut semble-t-il pas combattre la courbe aussi parfaite soit-elle d'une barre bien dessinée.
Alors jouons seulement avec notre stupeur et laissons la nostalgie glisser d'une génération à l'autre. Car la nostalgie a cela de dramatique et de pervers qu'elle s'invente aussi sur des moments que l'on n'a pas vécu. Et quand je vois un enfant de cinq ou six ans sur une carte postale des années 1900, je ne peux m'empêcher de penser qu'il est mort dans une tranchée de Verdun parce que le monde que lui a préparé celui qui a planté la glycine fut celui d'une vengeance. Jouer aux billes dans les creux des pavés de la banlieue n'est pas le signe d'un paradis perdu mais seulement un 60eme de seconde de paix suspendu à jamais entre la paire de claques du parent alcoolique ou l'autorité abusive d'un maître républicain. Qui sait ?
Je construis tout autant que vous. C'est le pouvoir troublant des images, libres qu'elles sont de nous conduire là où nous croyons être de bons interprètes. Chacun traduit.
Alors je décide d'aller voir sur place puisque le livre nous donne l'exemple d'une rue de Charenton-le-Pont, l'avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny.




Je retrouve bien le point de vue mais mon oeil est tout de suite attiré comme sur les images du livre par le cinéma à gauche.





Petite construction des années trente, il mérite à lui seul de venir là. Il semble qu'il soit en transformation mais pas menacé. Je trouve sur la façade le nom de son architecte : L. Thomas.
Alors... comme quoi il est possible aussi de se réjouir encore de notre paysage. Et certainement que ce joli morceau avait en son temps comblé un jardin ! (?)
Le nez en l'air je reprends mon chemin à la recherche des noms des architectes sur les constructions pour compléter ma collection. Cela m'oblige à regarder. La variété est grande mais quelques noms reviennent souvent, certainement des architectes, soit de la ville-même, soit en cheville avec des entrepreneurs qui n'oublient pas eux aussi parfois, sans honte, de graver leurs noms sur des façades euh... bon... bref.
Voici quelques exemples :













Sur le chemin, je trouve un tourniquet avec quelques cartes postales qui s'arrondissent sous le soleil et le froid. Le vendeur me dit : "Vous avez pris toutes les vieilles !"
Je tente au moins pour l'une d'elles d'aller voir si tout est en place et cela donne ça :


La carte postale est une édition Lyna et représente la rue Anatole France, marché, Patinoire et Piscine. Sans les noms des architectes et je n'ai pas trouvé de plaque !

Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, je finirai par la fête foraine.
La ville est ainsi faite de laideur, de beauté que chacun choisit à regret ou avec contentement. Mais toujours ce qui me la rend palpitante c'est les oppositions et les ruptures. Ce sont bien les collages et les écarts dans leurs impossibles retrouvailles parfois qui me font jubiler. Et je préfère toujours cela à l'ennui parfait d'un petit monde connu et confortable, que ce confort d'ailleurs soit nostalgique ou comme la chanter la publicité ménagère un "confort moderne".


deux cartes postales CIM,bois de Vincennes, foire du trône, en hélio.

un siècle passe ...
46 photos constats par Alain Blondel et Laurent Sully Jaulmes
Dominique Carré éditeur. 3e édition 2007
un beau livre bien imprimé et mise en page superbe.