samedi 12 février 2011

Le Corbusier abstrait



Nous voici de retour à Ronchamp, chez Le Corbusier.
Et voici une carte postale éditée par la Société Immobilière de Notre Dame du Haut.
Nous avons déjà publié cet éditeur de cartes postales et une nouvelle fois ici ce qui est surprenant c'est la très grande qualité du document.
Qualité qui place cette carte postale autant du côté du champ documentaire que du champ artistique.
Le cadrage d'une grande beauté plastique et d'une grande radicalité formelle dépouille le bâtiment jusqu'à son essence même.
Dans une approche presque intime avec la surface du mur, le (la ?) photographe coupe par la verticale l'image en deux comme avec une lame.
Laissant à gauche la blancheur d'un crépi épais descendant tout droit et à droite une courbe au sol, celle de l'estrade, il installe au fond le seul volume architectural reconnu : la chaire du prêtre pour les cérémonies en plein air.
L'ensemble des masses compose ainsi une abstraction dont finalement seul, dans un flou à l'horizon net, le petit morceau de paysage reste l'élément figuratif.
Mais une fois de plus comment déterminer qui décida de cette composition ?
Car s'il ne fait ici aucun doute que la prise de vue est une séquence possible d'une promenade à Ronchamp, on peut tout de même se demander si c'est l'architecte ou le regard sur son architecture qui produisent cette abstraction.
Le photographe est debout, il ne fait pas de manipulation particulière ni de torsion incroyable pour obtenir cette image. Il est dans une forme de "réalisme" de la rencontre avec Ronchamp. Autrement dit, il montre, à hauteur de regard de pèlerin, ce qu'il est possible de rencontrer et de comprendre de cette architecture.
Mais par définition, le cadre est limité et les angles droits aux quatre coins de la carte postale obligent à des choix.
Comment dire à celui qui n'a pas vu Ronchamp et comment permettre à celui qui l'a vu de se reconnaître en train de visiter ce lieu ?
Il s'agit bien là de la mission d'une carte postale.
Ronchamp est insaisissable par l'image tout simplement par ce qu'elle est une fabrique à images.
La complexité formelle de ses courbes, le jeu inouï de ses matériaux, les séquences de vides et de pleins en font une œuvre mouvante dont on ne peut saisir à son pied ni son plan ni son élévation comme il est impossible au promeneur sur un chemin inconnu de savoir à l'avance ce qui se trouve derrière la montée.
Et le Corbusier offre alors toujours comme des points nécessaires à un rétablissement de l'équilibre une forme géométrique simple permettant aux sens de se ressaisir et d'offrir au corps un lieu pour se tenir.
Qui osera me dire voyant cette carte postale que l'on peut ici comprendre l'espace réel du lieu ?
On ne peut que saisir ce désir de dessin et de composition, admettre que ce lieu est le lieu de cette expérimentation plastique exactement comme il est difficile en regardant la surface complexe d'un coquillage de deviner les courbes intérieures de son colimaçon.
C'est Ronchamp.
Mais il me reste aussi, devant la multitude des images éditées de Ronchamp, à dire que le photographe de cette carte postale a su au moins ne pas tricher. C'est dans cette honnêteté du regard qu'il a compris le lieu. Il se pose finalement au pied de la machine à images, ramasse les dessins de l'architecte en s'étonnant sans doute lui-même dans le cadre de son appareil d'une construction inventive permanente.
On pourrait nommer cela une photogénie.