Je viens de terminer la lecture d'un texte de Marie-Pierre Zufferey publié chez Infolio dans la collection Archigraphy Paysages.
Sa démarche me touche car elle démarre simplement sur le constat qu'elle possède en sa maison plein de paysages. Ces paysages posés sur la table sont imprimés en cartes postales.
A la recherche d'un HORIZON, elle se trouve dans l'obligation douce d'entreprendre une classification, un rangement. Là tout se complique joyeusement car les images semblent toujours vouloir dès leur définition posée vouloir y échapper pour rejoindre une autre catégorie. Les collectionneurs de cartes postales connaissent bien ce problème qui les oblige parfois à des tours de force pour ne pas se perdre dans ce qui finalement est bien la vraie difficulté du paysage : sa définition.
La carte postale est le lieu rêvé (fabriqué) de cette question et les héritages ici évoqués et les maniérismes attendus en font un délice perpétuel. Toujours et en même temps que la carte postale semble avoir défini ses principes, elle nous montre la capacité à inventer dans ses règles de nouveaux horizons.
C'est sans doute cet état qui a poussé de nombreux artistes et nombre d'entre nous à confronter l'image de la carte postale à la réalité représentée dans ce geste simple de tendre le bras, l'image à la main et de tenter le collage pour jouir de l'écart.
La couverture du livre nous montre ainsi une photographie de Robert Ireland intitulée "la vérification":
tout est dit.
On voit dans une pochette plastique, une photographie qui tente de retrouver sa place dans le paysage, même si je n'en suis pas certain, je pense qu'il s'agit d'une carte postale. Ce qui est difficile dans ce geste que j'ai pu moi-même éprouver c'est d'être à la fois dans le bon placement pour l'image ainsi présentée mais également être dans le désir de faire de cette tentative à nouveau une image qui se jouerait du collage. Retrouver le point de vue n'est pas toujours aussi simple et la déformation de nos objectifs (suggestifs) photographiques est bien importante parfois.
Mais reste le geste qui porte l'idée : vérifier.
Vérifier que l'image n'a pas menti, la faire intégrer enfin à nouveau son lieu et cela malgré les écarts spatio-temporels entre elle et sa réalité. Le temps s'écoule et s'est écoulé à l'instant même de la photographie. Impossible réconciliation mais curieusement c'est là que surgit le plaisir.
Dans ce cas, les rochers sont encore bien loin de leur image, on les devine au fond, un peu flous. Mais sans doute l'œil les colle-t-il irrémédiablement. Tout doit être parfait, le réel retrouve son image, la photographie existe donc bel et bien, elle n'est pas qu'un fantasme. Oui, c'est bien le réel qui est capté, ce n'est ni un mauvais souvenir ni un mensonge. Il fallait vérifier.
Je retrouve dans un vieux numéro de l'excellente revue Camera de mai 1974 un article sur le photographe américain Kenneth Josephson. Dans un geste similaire, bras tendu et image pincée entre le pouce et les doigts, il la présente à son paysage.
L'image n'a pas de titre ni de situation bien éclaircie mais on voit un château au bord de l'eau. Dans le lieu retrouvé, les statues sur la droite sont mises en boîte alors que la carte postale nous les montre nues.
Le ciel nuageux de l'image fait place dans le réel à un ciel gris uniforme. Mais ce qui est subtil c'est la mise en place de la ligne diagonale du bord du bassin venant se recoller parfaitement à celle de la carte postale accentuant ainsi et révélant par la même occasion le rôle perspectif du tableau, lieu de la projection du monde.
Cela aussi nous dit que si l'image reprend sa place, elle cache et occulte alors son réel. Il faut choisir toujours entre l'image et sa représentation, la superposition donnant toujours l'avantage à l'image sur le réel. Le clignement des yeux souvent joue le rôle d'alternateur, un coup le réel, un coup l'image. Réconciliation impossible sans la perte de l'un ou de l'autre d'où une mise en place soit dessous, de côté, de l'image face à son modèle.
Pratiquant la photographie stéréoscopique, celle du relief et donc des deux yeux, je sais que même dans ce cas, l'image malgré sa grande faculté d'illusion (à cause d'elle) n'est jamais le réel. D'ailleurs il faut me voir encore m'amuser après des années de pratique à ce que cette illusion soit le centre même du plaisir alors que finalement dans l'expérience du sens de la vue elle en est sa définition même. Perte et gain de la photographie, jamais totalement l'un ou l'autre.
Dans cet autre exemple de Kenneth Josephson, l'image apportée ne tente pas de retrouver son lieu.
Le bateau ne cherche pas le bateau mais s'amuse de sa possibilité d'être dans cette image. D'ailleurs l'illusion est de courte durée car l'horizon de la mer et celui du bateau ne sont pas les mêmes, la vue du bateau étant prise d'avion sans doute, est-ce pour cela que l'image du bateau est suspendue par la main dans le ciel ?
Mais le cerveau fait le collage. Bateau sur l'eau. C'est tout, ça fonctionne. Et comme dans un film de Robert Dehry, le bateau est petit parce qu'il est loin ! Admirons également la force de paysage du bras qui joue comme une presqu'île, une jetée vers l'horizon, un morceau de terre.
Superbe.
Je finirai avec cette carte postale envoyé par Claude. Elle reproduit une photographie de Michel Gantner (éditions nouvellesimages).
Il faut se poser la question : où est la photographie de Michel Gantner ?
Est-ce l'image tenue dans la main et (re)présentée devant son modèle ou bien est-ce la photographie que je tiens dans ma main sous la forme d'une carte postale ?
Est-ce une image fabriquée pour la carte postale ou une surprise orchestrée ?
Soyons attentifs : si on regarde la photographie tenue dans la main, la prise de vue fut réalisée sur l'esplanade du Trocadéro. On reconnaît le dallage et le point de vue qui me fait toujours frémir lorsque je m'y rends car je sais qu'Adolf Hitler a posé exactement là, je vous assure c'est physique, je le ressens. Mais le lieu où l'image est présentée est situé juste en face dans les jardins que d'ailleurs on perçoit derrière la Tour Eiffel ! Il s'agit donc d'un jeu de retournement.
On se place du côté du point de fuite de la première image pour voir si les parallèles s'y rejoignent quelquefois !
Admirons le remarquable placement du piéton de droite marchant à la fois sur l'esplanade et sur le jardin dans un jeu d'échelle parfait, il est à sa taille, à sa place dans les deux images ! Incroyable collage ! On remarquera aussi que l'image tenue nous donne une Tour Eiffel nette alors que le lieu de la Tour Eiffel nous en donne une image floue. Comme l'œil travaille avec l'appareil photographique !
On peut aussi déduire de la position du bras, la manière dont il présente l'image à l'appareil photographique que ce dernier est sur un pied. Il s'agit donc bien d'une construction d'image une pré(méditation) de l'image. La difficulté qu'il y a parfois à tenir l'image main gauche et l'appareil main droite peut dans l'imperfection du rapprochement évoquer une surprise ; chez Michel Gantner tout nous dit la construction.
Il me faudra à mon prochain voyage à Paris placer à nouveau cette image dans son lieu. Un abyme profond...
Claude au dos de la carte écrivait ceci :
"Si nous voulons vraiment sauver l'esthétique de la carte postale il nous faut réintroduire l'usage des cartes postales locales : par exemple aucune carte vue de l'aéroport à l'aéroport d'Orly. Où va le monde ? très sérieusement Claude"
Oui c'est sérieux et c'est pour cela qu'on en rit.
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