lundi 2 juillet 2012

Eden Morfaux, fabrique d'archipel à Gentilly

Je reçois ce jour une série de cartes postales qui rendent compte des interventions de l'artiste Eden Morfaux dans la ville de Gentilly : fabrique d'archipel. Je dois ce courrier à Guillaume Grall avec qui j'ai eu le plaisir de travailler pour le numéro spécial de Etapes Graphiques, numéro consacré à la relation entre graphisme et architecture.
Regardons ces cartes postales :








































































































Posés dans la ville, des volumes de bois peint proposent à la fois l'invention d'un lieu éphémère et un praticable urbain se jouant de la limite entre sculpture, jeu, architecture à échelle réduite, caisse de livraisons.
On peut à loisir choisir sa référence sauf que l'artiste, en travaillant directement avec les associations et les habitants, invente bien surtout une sorte d'outil relationnel, une mécanique de la rencontre. La capacité de projection est ici non pas une absence de décision de l'artiste mais bien un écran aux désirs, un libre-cours.
Il ne fait aucun doute que la qualité plastique de l'ensemble est au rendez-vous. Les formes simples des parallélépipèdes offrent une sorte de calme, de repos aux débordements formels de la ville, à sa richesse de signes ici ralentie, atténuée et surtout encadrée.
Les photographies sont de l'artiste, Eden Morfaux, et donc il s'agit bien là de son point de vue sur son propre travail.
Que nous dit ce point de vue ?
D'abord toujours d'un peu loin, Eden Morfaux va chercher la ville, la pose au travers des vides des espaces jouant des grilles de l'architecture et ne se refusant pas sa réalité parfois poétique comme le camping-car qui offre son rêve de mobilité contre la fixité de la ville et l'errance de la sculpture de l'artiste qui se déplacera de point en point dans la ville de Gentilly comme on peut le voir sur cette carte postale :



















On remarquera que les localisations sont reprises au verso de chacune des cartes postales par ce même petit signe.
On perçoit aussi l'architecture un peu dure parfois mais qui par l'échelle de l'objet de Eden Morfaux démontre une qualité de la ville : des espaces disponibles. Cette ouverture du sol urbain, sa disponibilité à l'intervention sont ainsi affirmées par l'artiste. "il y a de la place" bien plus que "il y a une place". Faire de la place à la rencontre, à l'échange mais étrangement sur les cartes postales même de l'artiste, il y a du vide puisque rarement sur ces images les habitants ne sont visibles. Dans ce moment de l'image, la sculpture semble bien plus une œuvre minimaliste oscillant entre un Carl Andre désordonné, un Sol LeWitt amusé, ou un Rietveld inutilisé. C'est pourtant bien la qualité de ce vide qui fait le bonheur de ces vues sur la ville, la réjouissante possibilité d'un espace à entreprendre, un archipel, un eden.
Le lieu à la fois isolé et isolant, espace à la Robinson Crusoé qu'il faudra cultiver, user, donc vivre.
L'artiste en utilisant la carte postale comme moyen de partage de cette expérience doit vouloir l'offrir dans un média populaire que les habitants une fois encore pourront s'approprier. C'est l'occasion de trouver son lieu, de le partager et aussi de l'archiver dans les familles. C'est donc un bel objet éditorial dont il faut souligner la grande qualité d'impression et de composition.














































































Pour la dernière et grande pièce, le square Utopia, l'artiste détermine seul la forme et la proposition spatiale en travaillant également d'une manière forte la colorisation.
Cet orange fluorescent donne aux images une forte imprégnation d'artificialité comme s'il s'agissait d'imagerie informatique. J'ai d'ailleurs hésité longtemps devant ces images à croire en leur réalité physique. Les ombres violettes ont sauvé ma perception. Cette fois, des jeunes viennent animer le lieu immaculé et les sons des pas et des rollers résonnent jusqu'ici. L'échelle est humaine, les espaces proposés sont ici bien plus ordonnés presque comme un jardin à la française dont les topiaires auraient été remplacées par ces colonnes orangées. Une géométrie pour des corps libres qui se rencontrent, s'assoient, discutent, courent : la frénésie simple d'un jeu possible ou d'un repos.
Nous terminerons en remerciant Guillaume Grall pour cet envoi et nous signalerons qu'il a composé et mis en page le journal de cette intervention de Eden Morfaux en sachant comme à son habitude jouer des contraintes, des formes et des espaces de la pagination, écho parfait finalement aux espaces sculpturaux d'Eden Morfaux.

Le square Utopia est visible jusqu'au 16 septembre 2012 à Gentilly.
3ème édition
l'art dans la rue
2011/2012
Fabrique d'archipel
Eden Morfaux
http://www.edenmorfaux.com/a/

pour connaitre mieux le travail de graphiste de Guillaume Grall :
http://www.playgground.net/index.html

mardi 26 juin 2012

époustouflant, époustouflant Omicron


J'ai dans ma collection deux cartes postales de la halle du centenaire à Breslau. Je pourrais tout aussi bien écrire : j'ai deux cartes postales de la halle du centenaire à Wroclaw puisque la ville porte les deux noms. Cette halle est un monstre de l'histoire du béton. Construite au début du siècle dernier, elle est sans aucun doute l'une des constructions sans pilier intérieur la plus vaste jamais construite. Et, en plus,
elle est d'une grande beauté, surtout son intérieur.
Nous devons cette merveille technique et esthétique à l'architecte Max Berg.
Voici la première carte postale :



Cette édition A. Bröse de Breslau fut expédiée vers l'Allemagne sans doute juste avant les années 20 vu la qualité de l'objet postal. La bâtisse est prise dans son reflet, d'un peu loin et ne donne pas réellement la mesure de son ampleur architecturale. On notera le titre en allemand " Breslau Jahrhunderthalle ".
Beaucoup plus récente :



Cette très belle carte postale sans aucun nom d'éditeur doit dater du milieu des années trente. On retrouve la même nomination "Breslau Jahrhunderthalle". Nous sommes plus proches et la sensation de masse devient aussi plus réelle. On notera aussi que dans sa rigueur, l'ensemble est même un peu ennuyeux et pompeux, ce que la petite colonnade et sa sculpture d'entrée n'arrangent certes pas. Mais... attention, cela reste du moins avec ce que je peux vivre depuis cette image comme l'une des constructions les plus radicales et fortes sur un carton 10 x15cm !
Et voilà qu'hier, Claude m'envoie un lien vers le site de l'un de nos anciens étudiants, Romain Tardy.
(oui je sais Romain, ça fait longtemps !)
Sur ce site nous voyons et comprenons que ce dernier avec son collègue Thomas Vaquié ont réalisé une intervention spectaculaire à l'intérieur de la halle du centenaire. Et je dois dire que je suis resté bouche bée ! Cela porte le titre de O (omicron).
Il est bien loin le "son et lumière" de jadis ! L'alliance musique et jeux de lumières et d'images projetées est vraiment parfaitement accomplie. La manière dont les deux artistes ont réussi à la fois à respecter la colossale structure et à en tirer un parti à la fois formel et cultivé de références est surprenante et j'ose, époustouflante !
Vous allez être totalement renversé de votre siège et encore nous ne voyons qu'un film ! L'expérience dans le réel doit être absolument renversante !
Prenez le temps de bien écouter les protagonistes puis ensuite de regarder le petit film. Parfois Viméo rame un peu mais soyez patients, cela vaut largement le coup !
Attention ça commence, vous allez entrer dans l'étoile de la Mort, dans Tron version Metropolis, dans une mécanique visuelle puissante. Accrochez-vous !


O (Omicron) / Making of from Romain Tardy (AntiVJ) on Vimeo.



O (Omicron) from Romain Tardy (AntiVJ) on Vimeo.

dimanche 24 juin 2012

Anton Korady avec des roses

Nous allons retrouver l'architecte Anton (Antoine) Korady avec trois cartes postales de son église de Grisy-Suisnes en Seine-et-Marne.
Nous commençons à bien connaître les œuvres de cet architecte mais il est toujours plaisant de les retrouver au travers de nos cartes postales qui lui rendent hommage sans doute parce que la qualité spectaculaire des réalisations de l'architecte le mérite.


























Les éditions d'Art Yvon nous présentent Notre-dame-des-Roses de Grisy-Suisnes en noir et blanc. Cela nous permet sans doute ici de mieux lire le dessin et le volume. On comprend immédiatement que l'église est en deux parties distinctes : ses murs en béton et son toit en bois et ardoise. Les deux se liant sur une hauteur constante et ayant toutes deux une sorte d'autonomie formelle et moderniste assez prononcée.
Le socle de béton est un rien japonisant avec ses retours de toit, ses triangles. Cela est accentué par l'effet pagode des courbures du toit qui est très spectaculaire et conforme à l'idée de geste moderne d'une église de cette période. Le clocher se doit d'être pointu, haut, fier et en ardoise ce qui confère à la fois une belle sévérité et un lyrisme réussi.
C'est une belle église moderne sans aucun doute !
On remarquera un tas de planches à droite sur le sol : les restes du coffrage ?























En couleur :



Toujours chez Yvon éditeur, imprimée en Draeger procédé 301, cette carte postale appartient à une série dont vous voyez le numéro 2. Je ne sais combien de cartes postales comporte cette série.
Prise depuis le sol, regardez comme cela fait remonter les pointes vers le ciel ! L'effet pagode est encore plus  accentué ! L'entrée nous ouvre des bras de béton pour nous accueillir et le traitement des contreforts donne une dimension forte et bien campée à cette église. L'ensemble plastique s'amuse bien du triangle qui est aussi la forme du plan de l'église. Voyez comme l'intérieur fait de même :



Magnifique non ?
Quelle charpente !
Depuis ce point de vue, le socle de béton semble bien n'être plus qu'un détail pour permettre l'envolée de cette charpente qui est la pièce maîtresse de l'église. Les losanges, les triangles se battent à coups de pointes et dans les espaces les vitraux viennent mettre de la lumière et de la couleur. Le photographe Plessy des éditions S.E.R.P choisit une symétrie parfaite pour faire ce beau cliché.


jeudi 21 juin 2012

Charlotte Perriand dans les livres



Alors que je termine la lecture de Une vie de création de Charlotte Perriand, livre dans lequel elle raconte son histoire et sa vie riche, incroyablement riche, mon frère Christophe m'apporte pour une relecture un livre qu'il possède depuis longtemps Intérieurs de chalets et de maisons de campagne aux éditions Massin. Il est temps que je vous dise que ce frère depuis des années s'intéresse au design bien avant moi et que son flair de frère aîné l'a amené à acheter mobilier et livres que je dédaignais alors...
Ainsi aujourd'hui est-il à la tête d'une sorte de petite bibliothèque des Arts Décoratifs des trente glorieuses, bibliothèque que je jalouse souvent le week-end quand Christophe me fait le plaisir d'apporter un ou plusieurs de ses volumes et les trois éclairs au café du dessert dominical !
En voici donc un exemple et mon cœur a sursauté lorsque je me suis aperçu que la quasi totalité des photographies de ce livre représentaient du mobilier de Charlotte Perriand ! Alors pas de carte postale aujourd'hui mais je vous connais maintenant et je sais que vous allez vous régaler. Je dois donc remercier Christophe mais aussi Claude et Gaëlle qui m'ont permis de lire Charlotte Perriand dans une version de ce livre dédicacée par l'artiste lors de leur rencontre avec celle-ci.
Je vous donne sa dédicace : " L'enfant est un créateur né".
J'ajouterai également : "quel joyeux petit destructeur !"

Une vie de création
Charlotte Perriand
éditions Odile Jacob
1998

Allez ! Regardons l'œuvre de Charlotte Perriand :



























mardi 19 juin 2012

Maroc Moderne

Commençons par un mot fort : liberté.



La superbe tour Liberté se dresse fièrement dans le ciel du Maroc en imposant sa silhouette dansante dans un ciel comme vidé. On pourra une fois encore et toujours en somme, se réjouir des lignes, des contrastes, du socle qui la porte, du traitement de ses derniers étages. Cette carte postale des éditions la Cigogne ne mérite-t-elle pas toute l'attention nécessaire ? Les connaisseurs de Casablanca auront plaisir à savoir que cette dernière fut une exclusivité de Sochepress, rond-point Lapérouse à Casablanca.
De la liberté encore !



Se peut-il que le petit palmier de la première carte postale soit celui bien plus grand de celle-ci ? Notre point de vue a pivoté pour nous montrer l'autre façade et le bleu nettoyé du ciel cette fois fait son œuvre. Il s'agit d'une édition Fisa. Aucune des deux cartes ne nomme Monsieur Morandi l'architecte de la tour Liberté.
Un peu d'ombre :



Les palmes permettent à l'église du Sacré-Cœur de se rafraîchir et d'apparaître furtivement dans un paysage immédiatement oriental. Les éditions Studio Marti jouent la carte de l'exotisme et c'est assez réussi même si on ne fait que deviner l'architecture. Préférence à l'ambiance plus qu'à l'information, il s'agit bien là de la belle école de la photographie de cartes postales !
Attention ! Merveille !



Oui, il s'agit là aussi d'une carte postale ! Nous sommes au pied de l'hôtel Karabo à Restinga au Maroc. Nous admirerons l'architecture d'une modernité toute brésilienne...
Un bâtiment qui prend la courbe se pose sur de superbes pilotis en V libérant le sol que le photographe va pourtant chercher avec son cadrage. Regardez le premier plan, la terre vient contre l'objectif !



Cadrage audacieux et construction moderne font de cette carte postale des éditions Jeff datée de 1966 une superbe image. On notera un papier curieux au grain particulier. Il doit s'agir d'une carte-photo.
Par contre, je n'ai aucune information sur l'architecte de cette merveille ni sur le devenir de cette architecture.
Plus précis :



On aura reconnu la beauté rigoureuse du travail de Monsieur Zevaco, l'architecte de cette résidence des sapeurs pompiers d'Agadir. On trouvera sur le site du FRAC Centre deux dessins et un texte sur cette construction remarquable.
D'ici nous percevons le traitement en béton brut alternant avec des pans de murs blanchis, une fermeture des volumes, un traitement très sculptural de la tour et on s'étonnera du "couronnement" de celle-ci.
Les fleurs au premier plan sont inutiles à la beauté de l'architecture mais nous ne devons pas trop en vouloir aux éditions Hassan Tber car elles nous permettent tout de même de voir le travail du grand architecte.