mardi 12 juillet 2011

Le Corbusier met la table.



J'aurais pu faire un article uniquement avec cette première carte postale mais comme Madame M. est généreuse je peux même vous en offrir une autre...
Alors regardons la vie à Eveux, au couvent des Dominicains dessiné par le Maître.
Regardons comment s'organisent la lumière, l'espace et les assiettes.

Cette carte postale c'est la première fois que je la vois. Nous sommes dans le réfectoire du couvent de la Tourette grâce aux éditions Combier, nous sommes en 1961.
Je ne connais pas bien la liturgie des frères Dominicains mais cette image si on la décrypte un peu pourrait bien nous dire beaucoup de choses.
D'abord l'organisation des tables et des chaises. Pas de moine face à face sur la même table. On tourne le dos à la fenêtre et on regarde en mangeant la table en face de soi. La distance dit sans doute le silence, on ne facilite pas ainsi la parole car c'est bien plus difficile d'entamer une discussion avec le voisin d'à côté qu'avec celui d'en face !



On remarque aussi que les pochettes des serviettes sont disposées dans une assiette sur deux. Les pochettes sont celles des moines, des habitués. Donc on pourrait dire qu'entre chaque moine venait s'asseoir un invité de passage, un fidèle en retraite ici. Manière subtile de l'intégrer à la table, de le faire pleinement participer à la communauté, il est invité.
Ce que j'aime aussi c'est le mobilier. Ici, comme dans les intérieurs des cités radieuses, le mobilier n'est pas une démonstration de Design moderne et chic. On dirait que l'on a rentré les chaises et les tables de l'église du coin dans l'un des plus hauts lieux de l'architecture moderne. En toute simplicité...
J'aime cette chaise paysanne qui vient faire parler le béton.
Regardons encore les tables : 3 bouteilles de vin pour 6 convives, soit tout de même une demi-bouteille par personne... On remarque aussi que tout est déjà sur la table à disposition. Ici aussi c'est une manière de réduire le brouhaha des demandes de sel, d'eau et de pain. Les choses sont là et vous attendent. Les verres ? Les très beaux et pourtant si communs verres Gigogne d'une grande simplicité. On les a tous vus, on a tous bu dedans et c'est l'un des rares objets de design qui a connu une vraie popularité. J'en possède quelques exemplaires que je garde jalousement comme des cristaux de Bohème !
Le pain.
Le pain d'un point de vue symbolique c'est fort. Ici ce qui me touche c'est qu'il n'est pas posé sur la table directement. Il est posé sur une assiette de faïence blanche. J'aime cette attention à l'une des nourritures les plus porteuses de sens dans un lieu comme celui-ci. Ce pain n'est pas très cuit, juste ce qu'il faut et il rythme un horizon contre les verticales des bouteilles de vin. Proximité des deux symboles du dernier repas du Christ.
Regardons maintenant la pièce elle-même.
Grande longueur accentuée par les tables qui partent à l'infini. Le Christ seul et simple est sur le mur du fond en face du moine récitant. D'ailleurs vous voyez que l'on parle des moines, de leur corps alors que l'éditeur à photographié le lieu vide.. .une demande des moines ?



Regardons le beau et simple dessin du plafond. Les colonnes, cylindres de béton, soutiennent des poutres moulées dignes d'un dessous d'échangeur de voies rapides.
Et court tout le long de ce beau plafond la très belle lampe en acier (?) cornière pliée contenant la lumière c'est le seul élément qui chatoie un peu.
La lumière ? Elle vient des deux côtés. Sur notre carte postale, on la voit surtout à gauche passer au travers du filtre moderniste des carrés de couleurs, un Mondrian de verre. A droite on remarque le grand rideau bleu dont je ne sais pas bien s'il sert à faire le noir ou à cacher un détail architectural. Son bleu, ce bleu n'est pas hasardeux.





Enfin, pièce maiîresse de cette disposition, ce cube au milieu. Il s'agit de la chaire (?) c'est ici que s'installe sans doute le moine chargé de la lecture des textes religieux et de l'actualité pendant le repas. Tout est dit de Le Corbusier dans ce cube. Je veux dire que faire ainsi chanter et parler un corps religieux dans une forme aussi simple et colorée c'est faire parler l'essentiel : le corps.
C'est le mettre à sa juste place, entre une géométrie fabriquée et humaine produisant une parole sacrée dans la rudesse de la Lumière, l'exactitude de la Nature.



On remarque également le tableau au dos de ce cube. On dirait bien qu'il est une sorte d'organiseur avec peut-être les "tours de garde" des dominicains, le calendrier des tâches à accomplir.
J'aimerais un jour manger dans ce silence, l'œil glissant sur un aplat de vert, dans l'écho de la faïence blanche de mes semblables.
Totalement concentré sur l'espace de l'architecture et le partage, concentré donc vers les autres.





Pour vous repérer, voici sur cette carte postale Spirale le lieu où se trouve le réfectoire.
La carte postale nous montre le couvent vu du ciel. Il est encore en travaux, on devine un tas de gravats sur la droite.
La photographie en noir et blanc est coloriée. Surtout le vert de la nature car le gris du béton ne nécessite lui finalement que la lumière. Il fait, tout seul son travail d'ombres.

4 commentaires:

Jérémie Lopez a dit…

Trés belle ballade autour d'une image d'une belle image d'architectures.

"J'aime cette chaise paysanne qui vient faire parler le béton."

Oui, très bien dit !

"Les verres ? Les très beaux et pourtant si communs verre Gigogne d'une grande simplicité. On les a tous vu, on a tous bu dedans et c'est l'un des rares objets de design qui a connu une vraie popularité."

Oui, c'est vrai !



"Ce pain n'est pas très cuit"

Je pose un doute sur cette considération.


"Son bleu, ce bleu n'est pas hasardeux."

Tu parle là du rideau bleu. Mais pourquoi pense tu qu'il n'est pas un hasard. Ou plutôt pourquoi pense tu que le Corbusier est choisi de mettre du bleu ici ?


C'est le mettre à sa juste place, entre une géométrie fabriquée et humaine produisant une parole sacré dans la rudesse de la Lumière, l'exactitude de la Nature.

Tu vas me trouver titilleur mais Qu'est ce qu'une géométrie humaine au final ?

"parole sacré dans la rudesse de la Lumière, l'exactitude de la Nature."

J'ai trouvé cette dernière phrase largement influencé par l'écriture du Corbusier, que je trouve maintenant beaucoup trop exagéré, suranné...Quand on pense que l'homme qui nous parlait de "vérité", "d'harmonie", de "nature", "d'instinct primaire de l'homme" avait des projet d'un fachisme hallucinant ! ( veux tu que je précise ce qui me fais dire çà?)

Liaudet David a dit…

non pas vraiment.
le débat sur le fascisme de le Corbusier me semble un rien inutile. Tout et son contraire sont dits et redits.
Et la discussion sur le débordement de l'art dans la politique, même si elle est nécessaire n'est pas le lieu de ce blog. Corbu a fait sans doute des erreurs monumentales. Dans cette époque troublée qui n'en faisait pas ? (on parle plus rarement du départ de Mies vers les U.S.A...)
Reste une œuvre, elle aussi pleine des dissensions humaines, des errements de l'esprit. mais une œuvre puissante et si souvent juste.
le bleu ? pour moi, et certainement pas pour Corbu qui n'être pour rien dans ce choix c'est celui de la Vierge. mais là vraiment je m'égare et j'aime ça !

Bruno a dit…

Bonjour,
Très intéressant!
Belle image, qui me parle d'autant plus que j'ai passé la nuit au Couvent il y a juste 2 semaines!
Une belle expérience que je vous recommande.
Voici une photo prise (un peu à la va-vite) du réfectoire:
http://i51.tinypic.com/2ntwvq0.jpg
La photo est prise depuis la porte d’accès au réfectoire (on la voit, noire, au fond de votre carte postale).
Les tables ont été transformées et leur taille a été réduite (il ne reste que 10 frères actuellement au Couvent + les visiteurs de passage).
Les chaises en bois qui vous plaisent tant ont été remplacées par celles dessinées par Jasper Morrison:
http://www.culture.gouv.fr/rhone-alpes/dossier/cp/site_html/a44.htm
A bientôt.

Anonyme a dit…

Les tables du réfectoire ont souvent changés de disposition. Aune époque elles étaient disposées en individuellles pour 8 personnes. Les dominicians étant des frères prêcheurs n'étaint pas astreint à la régle du silence et je n'ai jamsi vu de moines lire des textes... L afaçde du réfectoire est plein ouest et le solei du soir en été est violent sur ces parois vitrées dues à XENAKIS. . .