lundi 15 mars 2010

Denis Prisset, Prestige

Je reçois ça :



Cette carte postale de la Grande Motte est une édition Prestige bien connue des cartophiles. Cet éditeur a tenté à une époque d'essoufflement de la carte postale de relancer la machine par l'impression et l'édition de cartes plus belles, plus artistiques et plus originales.
Le choix des photographes toujours nommés et le choix aussi des sujets photographiés ont fait de cet éditeur un cas à part dans l'édition et aujourd'hui un objet de collection particulier.
Ici, dans un mode monochrome qui n'est pas sans rappeler l'article édité là, la Grande Motte de Monsieur Balladur se noie dans un ciel-mer bleu gris très impressionniste ou très Alphonse Allais !
On ne sait pas si le photographe veut nous chanter la beauté des effets météorologiques de la côte ou la capacité de ceux-ci à camoufler l'architecture de Monsieur Balladur !
J. Guillard, le Leicagraphe (!) pourrait certainement nous répondre.
En tout cas l'image peut, pour nous amateurs de ce lieu, nous frustrer un peu mais aussi nous confirmer dans l'idée qu'un horizon architecturé et moderne peut toujours répondre à certains codes de la photographie pictorialiste....
Mais voilà la personne qui me fait don de cette image troublée et troublante agit dans le réel le plus clair et le plus limpide, celui d'une photographie que l'on dit plasticienne pour dire qu'elle dépasse (eh oui) le cadre d'une photographie anodine.
Denis Prisset est son nom.
Dans son envoi généreux et surprenant, il joint un très beau petit opuscule de photographies et vous allez voir que les interrogations que nous partageons ici dans ce blog sur une photographie objective trouvent un nouvel élan.
Voyez :






Le titre mon amour pourrait nous donner une piste d'analyse, celle d'un écrasement hiérarchique des objets photographiques. A la fois exclusif, mon amour au singulier et toujours ouvert ; et cet amour se pose sur des sujets qui finalement sont redondants.
On ne voit pas, sur le choix que j'ai opéré, les photographies des gens dont on devine la proximité avec le photographe, mais on comprend que les typologies sont bien établies :
voitures, fleurs (végétaux), architectures, familiers... et toujours dans un ordre savant affirmé par sa discrétion même.
Si le monospace, carcasse de métal molle, se soulève pour laisser la place à un tumulus de pierre lourde, il y a bien là une position.
Si la rose fanée, à la limite de sa chute se pose sur le Parlement Européen, il y a bien là une position.
Si le guitariste jouant de ses cordes tendues se pose sur des pylônes électriques à haute-tension, il y a bien là une position.
La pagination de mon amour donne des pistes de lecture de la banalité apparente et feinte des images. Mais il faut aussi aimer les images une à une pour leur force d'indifférence, force puissante qui nous fait tour à tour détester notre réalité et nous livrer à sa fascination. C'est le syndrome d'Atget, ou plus proche de nous Hans-Peter Feldmann.
Je sais bien ce que je retrouve là aussi de la banalité comme grille de lecture des images, celle qui se veut chez les photographes allemands depuis les Becher une objectivité. Et l'erreur de jugement parfois provient de ce que la banalité est sur le sujet et non sur sa manière de poindre comme image.
Les Boring Postcard sont de ce monde, celui aussi d'une forme d'anonymat du photographe. Personne ne semble responsable de l'image, personne ne la porte comme regard. La carte postale alors offre cette jubilation d'une photographie née comme une génération spontanée d'images, du sol, de l'air et de ce qui se constitue comme paysage. Et finalement je crois bien que la force du travail de Denis Prisset vient aussi de là, du désir de faire des choix et du désir de faire passer ses choix comme anodins.
Une forme finalement d'inventaire ou de documentaire qui aurait été commandée directement par le réel. Celui-ci donnant directement ses instructions au photographe.
Cadre-moi toi qui a une machine à enregistrer ma mort annoncée. Les voitures finissent en bagnoles, les fleurs fanent même à Berlin, les constructions s'écroulent dans des ruines que leur perfection ne peut cacher et les amis s'effacent doucement.
C'est bien, je crois, à une vanité que nous invite Denis Prisset.
Et les 933 photographies (!) de la forme des choses (à Berlin) est l'une des plus belles. J'ai tout regardé.
Berlin à la fois touristique, détaillée, ignorée et célébrée. Des voitures, beaucoup, des motos, beaucoup, des fleurs (des roses), beaucoup et des constructions (beaucoup) en plan large ou en détails nous livrent bien une ville vue par un marcheur. Il suffit de suivre les fuyantes pour connaître la hauteur du photographe, la vitesse de son cheminement (tranquille).
J'aime les autos, j'aime les fleurs et les architectures. J'aime marcher en les découvrant. J'aime donc beaucoup le Berlin de Denis Prisset. Et sa forme des choses est bien souvent la mienne.

la forme des choses (à Berlin), 2009
47 min
933 photographies accompagnées de la première symphonie de Gustav Mahler
(à visionner sur ordinateur)

mon amour
édition P
500 exemplaires
isbn 978-2-917768-00-6
2008


1 commentaire:

Denis Prisset a dit…

Je suis ému de la qualité et de l'attention de votre regard. Pour revenir sur les choix que je fais et ce qu'ils ont à faire avec la banalité et l'anodin, je dirais plutôt qu'ils sont d'abord subjectifs, tous en étant si possible d'emblée inscrits dans la communauté. Je suis parmi les autres et je partage leur regard.
Pour être prétentieux, disons que c'est peut-être le projet réaliste du romantisme.
Grand merci.